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La peur et la confusion réunies m’arrachèrent un oui prononcé si faiblement, que Béatrix put apercevoir plutôt le mouvement de mes lèvres qu’elle ne put entendre ce mot. De même qu’une arbalète mal tendue fait rompre la corde et l’arc, et ne lance qu’une flèche mal assurée, de même je fus accablé sous le poids de ma honte ; je versai un torrent de larmes, et ma voix ne put que péniblement se frayer un chemin. Alors Béatrix me parla ainsi : « Au milieu des nobles désirs qui te portaient à aimer le seul souverain désirable, quels ravins inabordables, quelles chaînes ont arrêté ta marche ? Pourquoi as-tu sitôt perdu l’espérance d’aller en avant ? Quels charmes, quels attraits se montrèrent sur le front des autres objets, pour que tu dusses ainsi te promener devant eux ? »

Après un soupir amer, mes lèvres à peine donnèrent passage à la voix qui répondit en pleurant : « Les objets présents et leurs faux plaisirs ont détourné mes pas, depuis que votre visage s’est caché. » Béatrix reprit ainsi : « Quand tu tairais, quand tu nierais ta faute que tu avoues, elle n’en serait pas moins connue : un tel juge le sait ! Mais lorsque l’aveu du péché tombe de la propre bouche du pécheur, l’épée de la divine justice est émoussée dans notre céleste cour. Cependant, pour que ton erreur te cause moins de honte, et pour qu’une autre fois, en entendant les sirènes, tu conserves plus de courage, cesse de verser des pleurs et écoute. Tu apprendras que mon corps enveloppé dans le linceul devait te diriger vers un penchant tout contraire. L’art et la nature ne t’ont jamais offert autant de plaisir que les belles formes où je fus renfermée, et qui ne sont plus que poussière ; et si le comble des délices te fut enlevé à ma mort, quel autre objet mortel pouvait donc exciter tes désirs ? Aux premiers coups dont te frappèrent les faux biens de la terre, tu devais lever tes regards vers le ciel, en me suivant, moi, qui n’étais plus telle que j’avais été. Tu ne devais être détourné de cette contemplation sublime pour recevoir des coups plus rudes, par aucune fillette, ou par aucune autre vanité de si courte durée. Un oiseau jeune ne connaît bien que la seconde ou la troisième fois les embûches ; mais c’est en vain qu’on tend les filets ou qu’on lance la flèche pour les vieux oiseaux. »

Je ressemblais aux enfants qui, les yeux à terre, en silence, couverts de honte, et reconnaissant leur faute, en conçoivent du repentir. Béatrix reprit : « Puisque mes paroles ont excité ta douleur, élève ta barbe, et en me considérant tu sentiras redoubler ta peine. » Les coups de vent du nord, ou ceux du vent qui souffle des contrées gouvernées par Iarbe, arrachent