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entre Sestos et Abydos, que ce fleuve qui alors ne s’ouvrit pas devant moi.

Elle nous parla en ces termes : « Vous êtes ici étrangers, et vous croyez peut-être que je ris de vous, parce que je souris dans ce lieu choisi pour être le nid de l’humaine nature ; mais le psaume où il est dit : « Vous m’avez réjoui, » doit lever le voile qui cachait la vérité à votre entendement. Toi qui es devant, et qui m’as priée de parler, dis, veux-tu quelque autre explication de moi ? Je suis venue pour répondre à tes questions ; qu’il te suffise de le savoir. »

Je parlai ainsi : « Cette eau et le bruit que j’entends dans la forêt combattent en moi une foi toute contraire que l’on m’a communiquée. » La vierge reprit : « Je te dirai quelle est la cause de ton étonnement, et je dissiperai les ténèbres qui obscurcissent ta raison.

« La souveraine béatitude, qui ne se complaît qu’en elle-même, créa l’homme innocent et porté au bien, et lui donna ce lieu pour arrhes de la paix éternelle. À cause de sa faute, l’homme demeura ici peu de temps ; à cause de sa faute, il changea en plaintes et en gémissements une joie honnête et des plaisirs purs : afin que les désordres que nécessitent, plus bas, les exhalaisons de l’eau et de la terre, qui sont produites par la chaleur du soleil, ne vinssent pas troubler l’homme dans ce séjour, ce mont fut ainsi élevé vers le ciel, et il est exempt de ces révolutions de l’atmosphère, depuis l’espace qui s’étend ici jusqu’à la porte qui le ferme. Or, comme, dans ce circuit immense, l’air, s’il peut parcourir le tour du cercle à cette hauteur qui n’est sujette à aucune altération, est mis en mouvement avec le premier mobile, un tel mouvement en imprime un à la forêt, parce qu’elle est touffue. La plante frappée cause le vent qui, en tournant, produit lui-même une secousse. L’autre terre, suivant qu’elle est digne, ou par elle-même, ou par le ciel dont elle obtient les influences, conçoit et produit des fruits de diverse nature.

« Après avoir entendu cette explication, on ne serait pas étonné de trouver des plantes sans en avoir auparavant connu la semence. Tu dois savoir que la plaine sacrée où tu te trouves est remplie de toutes sortes d’arbustes couverts de fruits qu’on ne recueille point sur la terre. L’eau que tu vois ne provient pas d’une source entretenue par des vapeurs retombées du ciel, comme les eaux d’un fleuve qui perd et recouvre ses ondes ; mais elle sort d’une fontaine invariable et éternelle qui retrouve dans la volonté de Dieu tous les flots qu’elle verse par ses deux canaux. De ce côté elle descend avec une vertu qui ôte la mémoire du péché ; de l’autre