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feu où elles devaient être brûlées. Un des esprits parla ainsi : « Ô toi, qui marches derrière tes deux compagnons, non pas pour arriver plus tard, mais peut-être pour leur montrer de la déférence, réponds, de grâce, à moi qui brûle dans la soif et dans le feu. Ta réponse n’est pas seulement nécessaire pour moi, mais encore pour ceux-ci qui l’attendent plus ardemment que l’habitant des Indes ou l’Éthiopien ne désire l’eau rafraîchie. Dis-moi, comment arrive-t-il que tu fasses obstacle au soleil, comme si tu n’étais pas encore tombé dans les filets de la mort ? »

Un d’eux me parlait ainsi. Je lui aurais répondu sur-le-champ, si un autre spectacle ne m’eût frappé : je fus étonné de voir une seconde foule d’âmes qui venait à la rencontre de la première, à travers le chemin enflammé.

Je remarquai alors que chacune de ces ombres s’avança plus vite, qu’elles s’embrassèrent mutuellement, et repartirent satisfaites de cette courte fête ; de même au milieu de leurs bataillons noirs les fourmis se flairent l’une l’autre, peut-être pour s’épier ou s’enlever leur proie.

Après s’être bornées à cet accueil amical, avant de se mettre en route, les âmes se fatiguèrent à crier davantage.

Celles qui arrivaient criaient : « Sodome et Gomorrhe, » et les autres répondaient ainsi : « Pasiphaé emprunta la peau d’une génisse pour exciter la luxure du taureau. »

Ensuite, semblables aux grues qui dirigent leur vol, les unes vers les monts Rifées couverts de glaces, les autres vers les sables de la Libye brûlés par le soleil, ces ombres partirent de deux côtés différents, en reprenant leurs premiers chants et en répétant les cris qu’il leur est ordonné de répéter.

Celles qui m’avaient parlé d’abord s’approchèrent de moi en montrant dans leurs traits le désir de m’entendre. J’avais remarqué deux fois ce désir, et je leur dis : « Ô âmes assurées de jouir un jour de l’état de béatitude, mes membres ne sont pas restés sur la terre ; je n’y suis mort ni jeune ni vieux ; mais ils sont ici avec moi-même, avec leur sang et leurs jointures. Je vais au ciel, pour n’être plus dans les ténèbres de l’ignorance : il y a au-dessus de nous une femme qui me fait accorder cette faveur ; voilà pourquoi vous voyez parmi vous mon corps mortel. Mais si votre plus ardente volonté est bientôt satisfaite, et vous porte au ciel le plus spacieux et le plus rempli d’amour, dites-moi, pour moi-même et pour l’instruction des autres, qui vous êtes, et quelle est cette foule qui marche maintenant derrière vous. »