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expiation, il fit une victime de Conradin ; puis, toujours par expiation, il rejeta Thomas dans le ciel. Je lis dans l’avenir qu’avant peu on enverra hors de France un autre Charles, pour mieux le faire connaître lui et les siens. Il en sort sans armes, et seulement muni de la lance avec laquelle combattit Judas. Il frappe Florence qu’il déchire de ses coups : il n’en rapportera pas pour lui des domaines, mais de la honte et des remords d’autant plus accablants, qu’il attachera moins d’importance à ce crime. L’autre, qui est déjà sorti, je le vois prisonnier sur sa flotte, vendre sa fille et en faire l’objet d’un contrat, comme font les corsaires pour les autres esclaves.

« Ô avarice ! que peux-tu produire de plus coupable, puisque tu as réduit mon sang à ne pas respecter mes propres enfants ? Mais pour que le mal arrivé et le mal futur soient encore surpassés, je vois les lis entrer dans Anagni et le Christ prisonnier dans la personne de son vicaire ; je le vois une autre fois moqué ; je vois renouveler la scène du vinaigre et du fiel, et je vois qu’il meurt entre deux larrons vivants ; je vois un nouveau Pilate que ce supplice ne rassasie pas : il porte dans le Temple ses désirs cupides. Ô mon souverain maître ! quand serai-je assez heureux pour être témoin de la vengeance, qui, cachée dans tes vues secrètes, satisfait ta juste colère ?

« Ce que je rapportais de l’unique épouse de l’Esprit-Saint t’a fait tourner tes regards sur moi pour savoir ce que je voulais dire. Telles sont nos prières tant que dure le jour ; mais quand la nuit arrive, nous ne rappelons que des exemples contraires ; alors nous nous entretenons de Pygmalion, que sa passion avide pour l’or rendit traître, voleur et parricide ; nous retraçons la misère de l’avare Midas, qui vit exaucer sa folle demande dont rit la postérité. Chacun se souvient d’Acham, qui déroba les dépouilles de l’ennemi, et qui semble encore être poursuivi par la colère de Josué. Nous accusons Saphira et son époux, nous applaudissons à celui qui foula Héliodore sous les pieds de son coursier. Dans toute la montagne on voue à l’infamie Polymnestor meurtrier de Polydore ; enfin on nous dit : « Crassus, apprends-nous, puisque tu le sais, quelle est la saveur de l’or. » Quelquefois nous parlons, l’un à voix haute, l’autre à voix basse, suivant l’impression qui nous porte à citer des exemples plus ou moins terribles. Cependant je ne suis pas seul à rappeler ici les bons exemples dont on s’entretient pendant le jour ; mais quand tu as passé, aucun autre n’élevait la voix. »

Nous avions quitté cet esprit, et nous tâchions d’avancer aussi vite que