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immortelle. Je fus une âme abandonnée de Dieu : mon avarice ne connut pas de bornes ; maintenant tu m’en vois puni. Ce que l’avarice exige de nous sur la terre, on le retrouve ici dans le supplice des âmes qui se convertissent, et la montagne n’a pas de peine plus amère. Comme notre œil ne s’éleva pas en haut, ainsi la justice céleste le fixe sur le sol en le vouant aux choses terrestres ; enfin, comme l’avarice a détourné notre amour de tout vrai bien qui nous pût être utile, de même la justice divine nous retient ici liés par les pieds et par les mains, et nous demeurerons ainsi immobiles et étendus, tant qu’il plaira au juste souverain. »

Je m’étais agenouillé, et je voulais parler ; mais à peine eus-je commencé, que l’esprit s’apercevant seulement au bruit de ma voix de cet acte de soumission, ajouta : « Quelle raison veut que tu te baisses ainsi ? » Je répondis : « Ma conscience m’impose naturellement un tel respect pour votre dignité. »

Mais l’âme reprit en ces termes : « Relève-toi ; ô frère, ne te trompe pas à ce point ! Toi, les autres et moi, nous servons la même puissance ; si tu te souviens de ce passage de l’Évangile où il est dit : « Et ils ne sont pas époux, » tu sauras pourquoi je raisonne ainsi. Retire-toi, je ne veux pas que tu t’arrêtes davantage ; ta présence m’empêche de verser les larmes avec lesquelles je mûris la satisfaction que je dois, comme tu l’as dit. J’ai sur la terre une nièce qui se nomme Alagia. Cette femme est bonne par elle-même ; puisse Dieu permettre que le mauvais exemple ne la rende pas criminelle ! Elle seule m’est restée là-bas. »