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CHANT DIX-SEPTIÈME

aimable père, définis-moi cet amour à qui tu attribues les actions estimables et celles qui ne le sont pas. — Élève vers moi, dit le sage, les facultés de ton intelligence, et vois jusqu’où peut aller l’erreur de ces aveugles qui se font guides. Le cœur qui est créé pour aimer vite, se dirige vers tout ce qui lui plaît, aussitôt qu’il a senti l’attrait du plaisir ; votre faculté imaginative vous retrace l’objet réel, et en même temps en développe tellement le charme, que l’esprit est captivé, et se porte tout entier vers cet objet. Ce sentiment est un amour, une nouvelle nature que le plaisir détermine en vous. Ensuite, de même que le feu s’élève en en-haut, par sa forme qui tend à monter dans la portion de matière avec laquelle il s’agglomère le plus facilement, de même l’esprit conçoit un désir qui est un continuel mouvement spirituel, et il ne s’arrête plus qu’il n’ait joui de la chose aimée. Tu comprends quelle est l’erreur de ceux qui affirment que tout amour est en soi une chose louable. Peut-être sa substance pourra toujours être bonne, mais toutes les empreintes n’en sont pas exactes, quoique la cire soit d’une qualité propre à les mouler fidèlement. »

Je répondis : « Ces paroles et mon esprit qui les recueillait avec attention, m’ont expliqué suffisamment ce qu’est l’amour ; mais je n’en suis que plus embarrassé dans mes doutes ; car si l’amour nous est offert par des objets extérieurs, et que l’esprit y accède sur-le-champ, il n’a aucun mérite à se diriger bien ou mal. »

Virgile reprit : « Je puis te dire tout ce que notre raison comprend à cet égard ; mais pour être mieux éclairci, tu entendras, dans une région supérieure, Béatrix qui est une lumière de foi. Toute forme substantielle qui est distincte de la matière, et qui lui est seulement unie, renferme en soi une vertu particulière. On ne la distingue qu’au milieu de ses opérations ; elle ne se démontre que par ses effets, comme une plante vivante est reconnue à la verdure de ses feuilles. L’homme ne sait d’où provient la source de ses premières connaissances, et celle des premières passions qui sont en lui, de même que l’abeille n’a pas étudié l’art de composer le miel ; et cette première volonté, naturelle, ne mérite ni blâme ni récompense.

« Mais pour régler cette première volonté innocente, vous avez reçu la raison qui vous conseille et qui vous dirige en gardant la porte de vos pensées. Cette raison régulatrice est la source de vos mérites, selon qu’elle admet ou repousse les amours coupables ou les amours vertueux. Les sages, qui par de profondes méditations sont parvenus à découvrir la nature