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CHANT NEUVIÈME

mains au-dessus de mes yeux, pour les garantir, par cet abri, de cette lumière excessive.

Ainsi que le rayon du soleil, réfléchi par l’eau ou par un miroir, remonte dans la partie opposée de la même manière qu’il est descendu, en suivant des lois contraires à celles auxquelles obéit la pierre qui tombe, comme le démontrent l’art et l’expérience, de même une lumière réfléchie, et telle que ma vue en était éblouie, vint me frapper de son éclat. Je dis : « Ô mon doux père, quelle est cette splendeur que je ne puis soutenir, et qui semble venir vers nous ? » Il répondit : « Ne t’étonne pas si tu ne peux supporter la vue de l’auguste famille du Ciel ; c’est un envoyé qui vient nous inviter à monter au céleste séjour. Bientôt tu considéreras sans peine un spectacle de cette nature, et tu auras autant de plaisir qu’il te sera permis d’en éprouver. »

Quand nous fûmes arrivés aux pieds de l’ange béni, il nous dit d’une voix suave : « Entrez dans ce sentier, qui est moins âpre que les autres. » Nous montions, et nous entendîmes chanter derrière nous : Heureux les miséricordieux ! et, Jouis, ô toi qui es vainqueur !

Mon maître et moi nous marchions seuls, et, tout en marchant, j’eus l’idée de tirer quelque fruit de cet entretien. Je m’adressai donc à lui et demandai ce qu’avait voulu dire l’esprit de la Romagne en parlant d’empêchement de bonne intelligence.

Virgile répondit : « Il connaît maintenant le danger de son vice le plus odieux. Qu’on ne s’étonne donc pas qu’il signale ce vice, pour que vous ayez moins à le pleurer. Parce que votre cœur s’attache à une telle sorte de biens que, plus on est d’hommes à les partager, moins on possède, l’envie excite en vous une flamme dévorante. Si l’amour du séjour des bienheureux occupait vos désirs, vous n’auriez pas de telles douleurs ; car dans l’Empyrée, plus on est de créatures à jouir du même bien, puis on possède, et plus une brûlante charité embrase ses fortunés habitants. »

Je parlai ainsi : « Mais je suis plus affamé d’explications que si j’avais continué de garder le silence, et un doute plus fort me tourmente. Comment peut-il arriver qu’un bien divisé rende plus riches ceux qui le possèdent en grand nombre, que ceux qui, en petit nombre, seraient appelés à le partager ? » Mon guide reprit : « Comme tu n’es absorbé que par les choses terrestres, ma doctrine, qui est la véritable, t’enveloppe de ténèbres.

« Ce bien infini et ineffable qui est là-haut est entraîné vers la charité, comme un rayon vient plus facilement frapper un corps lucide. La lumière