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LE PURGATOIRE

phères, et tu comprendras, si ton intelligence n’est pas en défaut, que la route où Phaéton s’égara si imprudemment se présente à tes yeux, sur le mont, d’un côté opposé à celui où tu la verrais, sur la montagne de Sion.

Mon maître, dis-je, je n’ai jamais mieux compris une chose qui me paraissait incompréhensible. Suivant ce que tu dis, je conçois que le cercle qu’on appelle équateur, dans une certaine science, et qui est situé entre la partie où la présence du soleil amène l’été et celle ou son absence cause l’hiver, s’éloigne de cette montagne vers le nord quand les Hébreux voient ce même cercle vers la partie australe : mais te plaît-il de m’instruire encore ? J’apprendrais avec plaisir si nous avons à gravir cette montagne entière dont mes yeux ne peuvent mesurer la hauteur. » Et lui à moi : « Cette montagne semble plus rude quand on commence à la gravir, mais plus on avance, plus la fatigue diminue. Lorsque le chemin te paraîtra tellement agréable que la marche sera douce comme le mouvement d’un vaisseau sur la mer, tu auras atteint le terme du voyage : c’est là que tu dois espérer du repos ; je n’ajoute rien de plus : je suis sûr de t’avoir dit la vérité. »

À peine eut-il parlé, qu’une voix près de nous s’écria : « Peut-être seras-tu, auparavant, plus d’une fois dans la nécessité de t’asseoir. » Alors nous nous retournâmes, et nous vîmes à gauche une grande pierre que Virgile et moi n’avions pas aperçue : nous nous en approchâmes, et nous distinguâmes des âmes assises à l’ombre de cette pierre, dans une attitude négligente.

Une d’elles, qui semblait fatiguée, assise, comme les autres, embrassait ses genoux, sur lesquels elle appuyait son visage. « Ô mon doux maître ! dis-je, regarde attentivement celui-ci, qui est si oisif qu’on croirait que la Paresse est sa sœur. » L’âme se tourna vers nous, puis nous considéra sans déranger sa tête placée sur ses genoux, et dit : « Monte, monte, toi qui es si brave. » Je connus alors qui devait être cet esprit, et la fatigue, quoiqu’elle m’eût ôté la respiration, ne m’empêcha pas d’aller vers lui. Quand je me fus approché : « As-tu bien compris, ajouta-t-il en levant à peine la tête, pourquoi le soleil conduit son char à gauche ? » L’attitude indolente de cette ombre et la brièveté de ses paroles me firent sourire, et je commençai ainsi : « Belacqua, je ne te plains plus maintenant ; mais dis-moi pourquoi tu es assis en ce lieu ? Attends-tu un guide ? Es-tu retombé dans tes anciens accès de paresse ? »