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CHANT TRENTE-DEUXIÈME

Je n’en excepte pas celui à qui Artus fit dans le flanc une si large blessure que les rayons du soleil traversèrent son corps, ni Focaccia, ni celui qui avec sa tête m’empêche de voir plus avant, et qui fut appelé Sassolo Mascheroni. Si tu es Toscan, tu dois connaître ce dernier. Pour que tu n’aies pas à m’interroger davantage, apprends que je suis Camiccione de Pazzi : j’attends Carlino, qui vienne ici montrer un être plus méprisable que moi. »

Je vis beaucoup d’autres visages que le froid avait rendus violets ; aussi le souvenir de cet étang me pénètrera-t-il toujours d’horreur.

Je m’avançais ainsi vers le centre où tendent tous les corps graves, et je tremblais de crainte dans ces ténèbres perpétuelles. En marchant parmi ces ombres impies, j’ignore si ce fut un effet de ma volonté, du destin ou du hasard, mais mon pied heurta fortement contre une tête. L’âme cria en pleurant : « Pourquoi m’insultes-tu ? si tu ne viens pas venger la journée de Monte-Aperto, pourquoi me frappes-tu ? » Je dis alors : « Ô mon maître ! attends-moi, que j’éclaircisse un doute auprès de cette ombre ; puis nous avancerons aussi vite que tu voudras. » Mon guide s’étant arrêté, je dis à celui qui blasphémait encore : « Qui es-tu, toi qui me fais de tels reproches ? » Il reprit : « Mais qui es-tu toi-même, toi qui marches dans le cercle d’Anténor en frappant les visages des autres si rudement, que, quand même tu serais vivant, tu aurais encore frappé trop fort ? » Je répondis : « Je suis vivant, et il peut t’être agréable, si tu es avide de quelque renommée, que je place ton nom avec ceux que j’ai déjà recueillis. — Moi ! s’écria-t-il, je désire le contraire, et même retire-toi ; ne me donne plus de sujets de plaintes : tu ne sais pas bien flatter sur ce marais. » Je saisis alors le coupable à la nuque, et je dis : « Il faudra bien que tu parles, ou il ne restera pas un cheveu sur cette tête. Eh bien ! reprit-il, arrache mes cheveux, foule ma tête aux pieds, tu ne sauras jamais qui je suis. » L’esprit aboyait en renversant sa tête en avant, et j’avais déjà la main remplie des débris de sa chevelure, quand un autre cria : « Qu’as-tu donc, Bocca ? il ne te suffit pas de grincer des dents, il faut que tes aboiements nous importunent. Quel démon te tourmente ! — Maintenant, repris-je, il m’est indifférent que tu parles, traître maudit ; à ta honte, je porterai de vraies nouvelles de toi. — Va-t’en, répondit-il, raconte ce qu’il te plaira de raconter ; mais si tu sors d’ici, n’oublie pas celui qui vient d’avoir une langue si prompte à me trahir ; il pleure en ce lieu l’argent qu’il a reçu des Français ; tu pourras dire : J’ai vu Buoso da Duera, là où