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CHANT VINGT-SEPTIÈME

froc, croyant que la ceinture purifierait mes fautes ; et certes j’aurais eu raison de le croire, si le grand pontife que je maudis ne m’eût replongé dans mes premiers égarements. Tu vas savoir comment et pourquoi je devins coupable.

« Tant que je fus un assemblage de ces substances que j’avais reçues de ma mère, mes œuvres ne furent pas celles du lion, mais celles du renard : je connus toutes les ruses, toutes les voies couvertes, et l’art de la fraude qui m’a rendu si célèbre dans la contrée. Quand je me vis arrivé à cet âge où chacun devrait baisser la voile et rouler les cordages, ce qui m’était agréable me parut odieux. Je me livrai au repentir ; et si j’eusse continué de marcher dans cette route, malheureux que je suis ! j’aurais assuré mon salut.

« Le prince des nouveaux pharisiens avait alors déclaré la guerre, non aux Sarrasins et aux Hébreux, mais aux seigneurs qui habitent près de Latran. Chacun de ses ennemis était adorateur du Christ ; aucun d’eux n’avait été commerçant dans les terres du Soudan, et n’avait aidé à reconquérir la ville d’Acre. Ce chef ne vit en lui ni son suprême ministre ni les ordres sacrés ; il ne vit pas en moi ce cordon qui autrefois ceignait des religieux plus macérés par la pénitence ; et comme Constantin, dans les montagnes de Soracte, pria Sylvestre de le guérir de la lèpre, ce pontife me conjura de le guérir de sa fièvre orgueilleuse ; il me demanda conseil : je me tus, parce que ses paroles me paraissaient dictées par l’ivresse. Il ajouta : « Affranchis-toi de tout soupçon, je t’absous d’avance, mais enseigne-moi à faire tomber les remparts de Palestrine. Tu sais que je puis ouvrir et fermer le ciel avec la puissance de ces deux clefs que mon prédécesseur répudia. »

Ces arguments spécieux me frappèrent. Je pensai que mon silence serait interprété contre moi, et je répondis : « Ô mon père, puisque tu m’absous du crime que je vais commettre, écoute : promets beaucoup, tiens peu, et tu triompheras du haut de ton siège glorieux. » À ma mort, François vint me réclamer ; mais un des Chérubins infidèles lui cria : « Tu ne l’auras pas, ne me fais pas tort, il doit venir avec mes esclaves. Il a donné un conseil frauduleux ; aussi depuis ce temps, je l’ai toujours tenu sous ma domination. On ne peut absoudre celui qui ne se repent pas. Il est impossible de vouloir le péché et de s’en repentir à la fois : il y a contradiction dans cette proposition. »