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CHANT VINGT-DEUXIÈME.

7. « Mais tourne-toi à présent vers d’autres : beaucoup d’esprits illustres tu verras, si ta vue se porte où je dis. »

8. Comme il lui plut je dirigeai mes regards, et je vis cent petites sphères, plus belles toutes ensemble par leurs mutuels rayons.

9. J’étais comme celui qui réprime l’aiguillon du désir, et point ne se hasarde à demander, tant il craint le trop :

10. Et la plus grande et la plus brillante de ces perles s’avança vers moi, pour d’elle-même satisfaire mon vouloir ;

11. Puis au dedans d’elle j’ouis : « Si tu voyais comme moi la charité qui nous embrase, ce que tu penses serait exprimé [3].

12. « Mais pour qu’en hésitant [4] tu ne retardes point d’aller vers la haute fin, je répondrai d’avance au penser qu’ainsi tu retiens en toi.

15. « La cime de ce mont, sur la pente duquel est Cassin, fut jadis habitée par une gent trompée et de disposition mauvaise [5] ;

14. « Et ce fut moi [6] qui, le premier, y portai le nom de Celui par lequel vint sur la terre la vérité qui si haut nous élève :

15. « Et tant de grâce sur moi reluisit, que je retirai les contrées d’alentour du culte impie qui séduisit le monde.

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LE PARADIS.

16. « Ces autres feux [7] furent tous des hommes contemplatifs, embrasés de cette chaleur qui fait naître les fleurs et les fruits sains.

17. « Ici est Macaire [8], ici est Romuald [9] : ici sont mes frères, qui dans les cloîtres arrêtent leurs pieds, et tinrent leur cœur ferme. »

18. Et moi à lui : — L’affection qu’en parlant tu me montres, et la bienveillance que je vois et reconnais en toutes vos ardentes âmes,

19. A dilaté ma confiance, comme le soleil dilate la rose, lorsque ouverte elle devient tout ce qu’elle a la puissance de devenir.

20. Je t’en prie donc (et toi, Père, apprends-moi si je puis recevoir une telle grâce), que je voie ton image à découvert.

21. D’où lui : « Frère, ton vif désir s’accomplira dans la dernière sphère, où s’accomplissent tous les autres et le mien [10].

22. « Là tout désir atteint sa maturité parfaite et entière : en elle seule, toute partie est où elle fut toujours [11],

23. « Parce qu’elle n’est point dans le lieu [12] et n’a point de pôles [13] ; et jusqu’à elle atteint notre échelle, d’où vient qu’à ta vue ainsi elle se dérobe.

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CHANT VINGT-DEUXIÈME.

24. « Le patriarche Jacob la vit jusque là-haut élever son sommet, lorsqu’elle lui apparut si chargée d’anges [14].

25. « Mais, pour la monter, nul maintenant ne détache ses pieds de la terre ; et en bas ma règle ne sert plus qu’à perdre du papier [15].

26. « Les murs qui autrefois étaient des abbayes sont devenus des cavernes, et les cuculles, des sacs pleins de méchante farine.

27. « Mais autant ne déplait à Dieu une énorme usure, que ce fruit [16] qui rend le cœur des moines si insensé.

28. « Car tout ce qu’épargne l’Église, tout appartient à ceux qui pour Dieu demandent [17], non aux parents, ni autres pires.

29. « Si frêle est la chair des mortels, qu’en bas point ne suffit un bon commencement, pour que, de sa naissance, le chêne arrive à produire le gland.

30. « Pierre commença sans or et sans argent, et moi par la prière et le jeûne, et François humblement fonda son couvent.

31. « Si tu regardes l’origine, et qu’ensuite tu regardes où chacun en est venu, tu verras le blanc changé en noir.

32. « En vérité, quand Dieu fit rebrousser le Jourdain et lui fit fuir la mer, moins fut-ce merveilleux à voir, qu’ici [18] ne le serait le secours [19]. »