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INTRODUCTION.

éclaire, dirige le pouvoir temporel, quant à la fin spirituelle de l’humanité, mais non quant à sa fin temporelle, qui n’est pas de son ressort, de sorte que ces deux pouvoirs sont réciproquement indépendants l’un de l’autre, chacun dans son ordre.

Telle est, en peu de mots, la théorie de Dante ; théorie, premièrement, destructive de la liberté, que Dante, au contraire, voulait affermir, et dont il voyait la garantie, du côté des Pontifes, dans leur exclusion de toute puissance temporelle, et du côté des Empereurs, dans la plénitude de leur puissance même, qui, ne pouvant plus s’accroître, ne leur laissait d’autre intérêt que celui de la justice et du bien général, en cela semblables au Tout-Puissant, qui ne peut vouloir rien que de bon et de juste. Il oubliait les passions humaines, et dans l’ordre même où elles règnent avec le plus d’empire. Il y a ici comme un reflet des idées orientales. Chaque monarque asiatique ne manque pas de s’attribuer, dans ses titres pompeux, celui de souverain de tous les autres monarques, usage que les Mogols introduisirent, après leur conquête, en Russie[1], où ce germe a tellement fructifié que, dans

  1. Boris prétendit accoutumer la nation russe à le vénérer comme un dieu sur la terre, et lui-même il composa une formule de prière qui devait être récitée dans chaque famille aux heures des repas : « Pour le salut du corps et de l’âme de l’unique monarque chrétien de l’univers, que tous les autres souverains servent en esclaves, dont l’esprit est un abîme de sagesse, et le cœur rempli d’amour et de magnanimité. » Mérimée. Les faux Démétrius, p. 53.