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INTRODUCTION.

masses quelques traces de l’instinct moral. Cette sorte de conscience, même inhérente à la nature humaine au plus bas degré de son développement, menaçait de s’éteindre dans la superstition entretenue par un clergé non moins ignorant, non moins corrompu que le peuple. Nous peignons l’état général en négligeant les exceptions, qui se rencontrent à toutes les époques et n’en caractérisent aucune.

Un homme d’une grande âme et d’un haut génie, Charlemagne, entreprit de tirer la société de cet abîme, de régulariser les rapports politiques et civils, d’organiser la justice publique, de relever l’instruction, de renouveler enfin la civilisation dont la barbarie avait presque effacé les derniers vestiges. Mais le temps n’était pas venu, et les moyens manquaient. Les causes destructives étaient loin d’ailleurs d’avoir épuisé leur action. Cette œuvre toute personnelle meurt avec celui qui l’avait conçue. Le mal reprend son cours, et à travers des discordes sanglantes, d’effroyables dévastations, une sorte d’agonie convulsive, la dissolution atteint son terme extrême, l’anarchie féodale, qui achève de se constituer au commencement de la troisième race. L’histoire ne présente aucune époque aussi calamiteuse. Ce fut le règne de la force brutale entre les mains de milliers de tyrans absolus chacun dans son domaine, en guerre perpétuelle les uns contre les autres, opprimant, dévorant de concert un peuple