Page:Dante - La Divine Comédie, traduction Lamennais volume 1, Didier, 1863.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.
128
INTRODUCTION.

que les damnés tireraient d’eux quelque gloire.

« Et moi : — Maître, quelle angoisse les fait se lamenter si fort ? il répondit : — Je te le dirai très-brièvement

« Ceux-ci n’ont point l’espérance de mourir, et leur aveugle vie est si basse, qu’ils envient tout autre sort.

« Aucune mémoire le monde ne laisse subsister d’eux ; la Justice et la Miséricorde les dédaignent. Ne discourons point d’eux, mais regarde et passe[1]. »

Quelle indignation, quelle colère pèserait sur ces damnés d’un poids égal à celui de ce mépris ?

Le touchant épisode de Francesca de Rimini, lequel a fourni à l’un de nos peintres le sujet d’une de ses plus belles œuvres, est dans toutes les mémoires. Tendresse, ingénuité, grâce ravissante, mélancolie des doux souvenirs, que ne s’y trouve-t-il point ? Les deux amants qu’emporte et roule dans son cercle éternel l’infernal ouragan, s’arrêtent à la prière de Dante, et Francesca lui fait le récit de leurs infortunes. Combien l’effet en est différent de ce qu’il serait si le Poete l’avait mis dans la bouche de celui qui jamais d’elle ne sera séparé. Un poëte vulgaire n’y eût pas manqué ; il aurait cru répandre ainsi sur l’amante silencieuse un certain charmé de modestie pudique : et au contraire, outre l’exquis sentiment de délicatesse pas-

  1. Enfer, ch. iii, terc. 8 et suiv.