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INTRODUCTION.

temporains un cri unanime d’étonnement et d’admiration. Puis des siècles se passent, durant lesquels peu à peu s’obscurcit cette grande renommée. Le sens du poëme était perdu, le goût rétréci et dépravé par l’influence d’une littérature non moins vide que factice. Au milieu du dix-huitième siècle, Voltaire écrivait à Bettinelli : « Je fais grand cas du courage avec lequel vous avez osé dire que le Dante était un fou, et son ouvrage un monstre. J’aime encore mieux pourtant, dans ce monstre, une cinquantaine de vers supérieurs à son siècle, que tous les vermisseaux appelés sonetti, qui naissent et qui meurent à milliers aujourd’hui dans l’Italie, de Milan jusqu’à Otrante[1]. »

Voltaire, qui ne savait guère mieux l’italien que le grec, a jugé Dante comme il a jugé Homère, sans les entendre et sans les connaître. Il n’eut, d’ailleurs, jamais le sentiment ni de la haute antiquité, ni de tout ce qui sortait du cercle dans lequel les modernes avaient renfermé l’art. Avec un goût délicat et sûr, il discernait certaines beautés. D’autres lui échappaient. La nature l’avait doué d’une vue nette, mais cette vue n’embrassait qu’un horizon borné.

L’enthousiasme pour Dante s’est renouvelé depuis, et comme un excès engendre un autre excès, on a voulu tout justifier, tout admirer dans son œuvre,

  1. Lettre du mois de mars 1761.