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raconte ! Que de Cadmus et d’Aréthuse se taise Ovide [1] ! Si, poétisant, il change en serpent celui-là, et celle-ci en fontaine, je ne l’envie point ; jamais l’une dans l’autre il ne transforma deux natures, de sorte que promptes fussent les deux Formes à échanger leur matière ; elles se correspondirent tellement que le serpent fendit en fourche sa queue, et que le blessé réunit les pieds. Jambes et cuisses si bien se pénétrèrent, qu’en peu il ne parut aucune trace de jointure. La queue fendue prenait la forme qui se perdait là ; sa peau s’amollissait, et celle de l’autre se durcissait. Je vis les bras rentrer sous les aisselles, et les deux pieds de la bête, qui étaient courts, s’allonger autant que ceux-là se raccourcissaient. Ensuite, tordus ensemble, les pieds de derrière devinrent le membre que l’homme cache, et le malheureux vit le sien se transformer en deux pieds. Tandis que la fumée les revêt d’une couleur nouvelle, recouvrant celui-ci de poil, et dépilant celui-là, l’un se leva, et l’autre tomba, sans détourner les yeux impies au-dessous desquels la face changeait. Celui qui était debout retira le museau vers les tempes, et par le trop de matière qui vint là, des joues élargies saillirent les oreilles. De ce qui ne se porte pas en arrière et resta, un nez se fit à la face, et les lèvres se grossirent autant qu’il convenait. Celui qui gisait, à terre chassa le museau en avant, et retira les oreilles dans la tête, comme la limace fait de ses cornes ; et la langue, une auparavant et prête à parler, se fendit ; et dans l’autre la fourche se referma, et cessa de fumer. L’âme, devenue bête, s’enfuit en sifflant dans la vallée, et l’autre derrière lui en parlant crache. Puis à celui-là il tourne les épaules nouvelles, et dit à l’autre [2] : « Je veux que Buoso [3] coure à quatre pattes, comme je l’ai fait par ce sentier. » Ainsi vis-je le septième lest [4] muer et transmuer ; et que la nouveauté m’excuse si ma plume a erré en quelque chose.

  1. Métamorphoses, liv. III et liv. V.
  2. A celui des trois qui n’avait pas subi de transformation, Puccio Sciancato, qu’il nomme plus loin.
  3. Buoso degli Abati, changé en serpent.
  4. Le septième lest, ce sont les pécheurs de la septième bolge, que le Poète compare aux ordures qui remplissent la sentine d’un vaisseau.