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épines [1] occupent les confins des deux hémisphères, et se couchent dans l’onde au-dessous de Séville. Et hier, déjà, la lune était ronde : tu dois bien te souvenir qu’une fois elle ne te nuisit point dans la forêt profonde. Ainsi me parlait-il, pendant que nous allions.


CHANT VINGT-ET-UNIÈME


Ainsi de pont en pont, parlant d’autres choses que ma Comédie n’a souci de chanter, nous allions, et nous avions atteint le faîte, quand nous nous arrêtâmes pour voir l’autre crevasse du Malebolge, et les autres pleurs vains ; et je la vis extrêmement obscure.

De même que, l’hiver, dans l’arsenal de Venise, bout une poix tenace, pour radouber les vaisseaux délabrés qui ne peuvent naviguer, de sorte que l’un remet à neuf son navire, l’autre calfeutre les flancs de celui qui a fait plusieurs voyages, qui, radoube la proue, qui, la poupe, d’autres font des rames, d’autres tordent des cordages, d’autres réparent les voiles d’étai et d’artimon : de même, non par le feu, mais par un art divin, bouillait une poix épaisse, qui, de tous côtés, enduisait la rive. Je la voyais, mais je ne voyais dans elle que les bulles soulevées par le bouillonnement, lesquelles se gonflaient et retombaient comprimées. Pendant qu’en bas mes yeux étaient fixés, mon Guide me tira à lui du lieu où j’étais, disant : « Regarde, regarde ! »

Lors je me tournai comme l’homme à qui il tarde de voir ce qu’il doit fuir, et que déconcerte la peur subite, de sorte que pour voir il se hâte d’aller ; et, derrière nous, je vis venir un diable noir courant sur le rocher. Ah ! qu’il était farouche d’aspect ! et qu’avec ses ailes déployées, il me paraissait cruel dans sa contenance, et léger de pieds ! Un pécheur chargeait son épaule élevée et pointue, la pressant

  1. La lune. Suivant la croyance vulgaire, les taches de cette planète indiquent Caïn qui lève avec une fourche un fagot d’épines.