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l’entour se rassemblèrent en ce lieu, fort par le marais qui l’environnait de toutes parts ; et, sur ces os de mort, bâtirent une ville, qu’à cause de celle qui la première avait choisi le lieu, sans autre scrutin, ils appelèrent Mantoue. Plus nombreux autrefois en furent les habitants, avant que la folie de Casalodi n’eût été trompée par Pinamonte [1]. Ainsi je t’avertis, afin que, si jamais tu entends donner à ma patrie une autre origine, aucun mensonge n’altère la vérité. » Et moi : — Maître, tes discours me sont si certains et tellement s’emparent de ma foi, que les autres me seraient des charbons éteints [2]. Mais, parmi la gent qui s’avance, dis-moi si tu vois quelqu’un digne de note, car à cela seul mon esprit vise. Lors il me dit : « Celui dont la barbe descend sur ses brunes épaules, fut augure, quand la Grèce tellement se dépeupla de mâles qu’à peine restèrent ceux au berceau [3], et, avec Calchas, donna en Aulide le signal de couper le premier câble. Il eut nom Euripile, et ainsi le chante ma haute tragédie [4] : tu le sais bien, toi qui la sais tout entière. Cet autre si fluet fut Michel Scotto [5], qui vraiment sut les fraudes magiques. Vois Guido Bonatti [6], vois Asdente [7], qui maintenant voudrait ne s’être mêlé que de cuir et de ligneul ; mais tard il se repent. Vois les malheureuses qui laissèrent l’aiguille, la navette et le fuseau, et se firent devineresses ; elles composèrent des charmes avec des herbes et des images. Mais viens ! déjà Caïn et les

  1. Pinamonte de Buonacossi, de Mantoue, persuada au comte Alberto Casalodi, seigneur de cette ville, de reléguer dans les châteaux voisins plusieurs gentilshommes qui faisaient obstacle à sa propre ambition. Cela fait, Pinamonte, ayant usurpé par la faveur du peuple la seigneurie du comte Alberto, fit mettre à mort une partie des nobles, et bannit les autres.
  2. « Ne feraient pas sur mon esprit plus d’impression que, sur ma vue, des charbons éteints. »
  3. Lorsque tous les Grecs en état de porter les armes partirent pour le siège, de Troie.
  4. Voyez Énéide, liv. II, v. 114 et suivants.
  5. Michel Scotto exerçait l’art de la divination au temps de l’empereur Frédéric II.
  6. Astrologue de Forli, cher au comte de Montefeltro.
  7. Savetier de Parme, autre astrologue.