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crée la foi spéciale [1]. Ce pourquoi, dans le plus petit cercle, là où est le centre de l’univers, et au dedans duquel est Dite, éternellement le traître est consumé. » Et moi : — Maître, ton discours procède très clairement, et décrit bien ce gouffre et le peuple qui l’habite. Mais, dis-moi : ceux du marais fangeux que le vent emporte et que bat la pluie, et qui se heurtent avec des paroles si âpres, pourquoi dans la cité du feu ne sont-ils pas punis, si Dieu les a dans sa colère ? Et si… il ne les a pas, pourquoi sont-ils en telle angoisse ? Et lui à moi : « D’où vient, dit-il, que ton esprit s’égare ainsi contre sa coutume, ou qu’ailleurs regarde ta mémoire ? Ne te souviens-tu point de ce que dit ton éthique [2], traitant des trois dispositions que le ciel réprouve : L’incontinence, la malice, l’aveugle bestialité ? Et comment l’incontinence offense moins Dieu, et s’attire moins de blâme ? Si tu considères bien cette sentence et te rappelles quels sont ceux qui, hors d’ici, plus haut, subissent leur peine [3], tu verras aisément pourquoi ils sont séparés de ces félons, et pourquoi avec moins de courroux la divine justice les martelle ? » — O soleil, qui guéris toute vue troublée, tu me satisfais tellement, lui dis-je, quand tu dénoues les difficultés, que non moins que savoir, douter m’est agréable. Retourne encore un peu en arrière à ce que tu as dit de l’usure, qu’elle blesse la divine bonté, et délie ce nœud. — La philosophie, à qui l’écoute, enseigne, en plus d’un endroit, me dit-il, comment la Nature, dans son cours, procède de la divine intelligence et de son art propre [4], et si tu lis bien la physique [5], tu trouveras, dès les premières pages, que votre art suit, autant qu’il peut, celui-là, comme le disciple suit le maître, de sorte que votre art est, pour ainsi

  1. La première sorte de fraude rompt les liens par lesquels la nature a uni généralement les hommes entre eux ; la seconde rompt en outre les liens plus étroits de la parenté, de l’amitié, etc., d’où naît une confiance mutuelle plus grande.
  2. L’éthique d’Aristote, de grande autorité alors dans les écoles.
  3. Voyez ch. VII.
  4. Tout ce que produit la Nature a premièrement sa cause dans l’intelligence divine, et ensuite dans l’action de la Nature même, dans son art propre, dont le principe est en Dieu.
  5. La physique d’Aristote.