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plus de courage [1] je le supportai, que je tins ma vue plus étroitement jointe à la Vertu infinie [2]. O abondante Grâce, par qui j’osai tant fixer mon regard sur l’éternelle lumière, que de la vision j’atteignis le terme ! Je vis que dans sa profondeur s’enfonce, relié en un volume [3] par l’amour, tout ce qui se disperse dans l’univers : substance et accident, et leurs propriétés, tous ensemble unis de telle manière, que ce que je dis est une simple lumière.

La forme universelle de ce nœud [4], je crois que je la vis, parce qu’en disant ceci je me sens plus au large dans la joie. Un seul moment m’est une plus longue léthargie [5] que vingt-cinq siècles à l’entreprise qui fit admirer à Neptune l’ombre d’Argo. Ainsi mon esprit interdit regardait fixement, immobile et attentif, et toujours de voir brûlait davantage.

A cette lumière on devient tel, que se détourner pour voir autre chose, il est impossible qu’on y consente jamais ; parce qu’en elle est rassemblé tout le bien qui est l’objet du vouloir, et que hors d’elle est défectif ce qui est parfait en elle. Désormais mes paroles, proportionnées à mon souvenir, seront plus courtes que celles de l’enfant qui baigne encore sa langue à la mamelle. Non que plus d’une seule apparence fût dans la vive lumière que je regardais, laquelle est toujours telle qu’elle était auparavant ; mais parce qu’en moi la vue devenait plus forte, et qu’en regardant un seul objet, moi changeant, il changeait pour moi.

Dans la profonde et splendide substance de la haute lumière, m’apparurent trois cercles de trois couleurs et de même étendue ; et l’un par l’autre, comme une Iris par une Iris,

  1. D’autant plus facilement.
  2. « Que ma vue se fixa plus fortement sur cette lumière divine. »
  3. Le Poète représente métaphoriquement l’Intelligence divine qui contient les idées éternelles, les exemplaires immuables des choses, comme un livre dont le Créateur, en formant les êtres, disperse les feuilles dans l’univers.
  4. La nature divine, qui produit et qui lie toutes choses.
  5. Toute mémoire est éteinte pendant la léthargie ; ainsi Dante veut dire, que « des choses qu’il vit, il en oublie plus en un seul moment, qu’on n’a, pendant vingt-cinq siècles, oublié de circonstances de l’expédition des Argonautes, dont la hardiesse étonna Neptune, lorsqu’il vit se projeter sur la mer l’ombre du navire Argo qui les portait. »