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darde maintenant des rayons mélangés de sa vertu. Derrière tes yeux dirige ton esprit, et fais de ceux-là des miroirs où se peigne la figure qui, dans ce miroir [1] t’apparaîtra. » Qui saurait quelle était la pâture de ma vue dans le bienheureux visage, lorsque je passai à un autre soin, connaîtrait combien doux il m’était d’obéir à ma céleste escorte, avec un poids contre-pesant l’autre [2].

Dans le cristal [3] qui, tournant autour du monde, porte le nom de son cher guide [4], sous qui toute malice gisait morte, je vis de la couleur d’or, à travers laquelle reluit un rayon [5], un escalier qui si haut s’élevait, que ma vue ne le pouvait suivre. Je vis aussi par les degrés descendre tant de splendeurs [6], que je pensai que toutes les lumières qui apparaissent dans le ciel, de là s’épandaient. Et comme, par instinct naturel, les corneilles, au point du jour, se meuvent ensemble pour réchauffer leurs froides plumes, puis les unes s’en vont sans retour, d’autres reviennent d’où elles étaient parties, et d’autres en tournoyant demeurent ; ainsi me parut-il qu’il en était là, parmi ces esprits étincelants, lorsque, venant ensemble, ils furent arrivés à un certain degré [7]. Et celui qui s’arrêta le plus près de nous se fit si brillant, que je disais en ma pensée : — Je vois bien l’amour que tu me montres : mais celle de qui j’attends le comment et le quand du parler et du taire reste silencieuse ; d’où je comprends que malgré mon désir, bien ferai-je de ne point demander. Par quoi elle, qui, en voyant celui qui voit tout, voyait ce que je taisais, me dit : « Satisfais ton ardent désir. » Et je commençai : — Aucun mérite ne me rend digne de ta réponse ; mais, par celle qui me permet le demander, âme heureuse, qui te tiens cachée dans ta

  1. Dans la planète.
  2. Il représente le plaisir qu’il sentait à regarder Béatrice, et celui qu’il avait à lui obéir, comme deux poids dans les plateaux d’une balance ; et « par la grandeur du premier, on peut, dit-il, juger de la grandeur de l’autre. »
  3. La planète, qu’il vient tout à l’heure d’appeler un miroir.
  4. Saturne, sous le règne de qui les poètes placent l’Age d’or.
  5. Un rayon de soleil.
  6. D’esprits bienheureux.
  7. De l’escalier d’or.