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Comme un faucon déchaperonné meut la tête, et battant des ailes et se dressant, montre l’envie de voler ; ainsi vis-je faire ce signe [1] tissu des louanges de la grâce divine [2], avec des chants tels que le sait qui là-haut se réjouit. Puis il commença : « Celui qui tourna le compas jusqu’à l’extrémité du monde [3], et dedans distribua tant de choses cachées et apparentes, ne put tellement empreindre sa vertu dans tout l’univers, que son Verbe ne demeurât infiniment au-dessus : et de ceci la preuve certaine est, que le premier superbe, des créatures la plus excellente, pour n’avoir pas attendu la lumière, tomba vert [4]. Et de là il apparaît que toute nature moindre [5] est un étroit réceptacle de ce bien sans fin, et qui n’a de mesure que soi-même. Notre vue donc, laquelle doit être un des rayons de l’Intelligence de qui toutes choses sont pleines, ne peut, par sa nature, être assez puissante pour que son principe point ne lui apparaisse beaucoup moins splendide qu’il ne l’est. Ainsi la vision que dans l’éternelle Justice [6] à votre monde, ressemble à celle de l’œil qui pénètre dans la mer ; lequel, bien que la proue [7] il voie le fond, ne le voit point en haute mer ; et cependant il existe, mais le cache sa profondeur. Point de lumière, si elle ne vient de la sereine clarté [8] qui jamais ne se trouble ; mais plutôt ténèbre et ombre de la chair, ou son venin [9]. Largement t’est maintenant ouverte la sombre grotte qui te cachait la Justice vivante [10], sur laquelle tu faisais tant de questions. Un homme, disais-tu, naît sur les

  1. L’Image de l’aigle.
  2. Formé de ceux qui chantent les louanges de la Grâce divine, les bienheureux.
  3. Qui a tracé avec le compas les bornes de l’Univers.
  4. Avant d’être mûr, c’est-à-dire, avant que la lumière qu’il ne voulut pas attendre l’eût, en l’élevant à une plus haute perfection confirmé dans la grâce.
  5. Inférieure à Dieu, toute nature finie.
  6. En Dieu.
  7. Près du rivage, que les navires abordent avec la proue.
  8. L’Intelligence divine.
  9. Les pernicieuses illusions nées de la chair.
  10. « Tu peux maintenant comprendre que l’obscurité où se cachait pour toi la Justice divine n’était que celle même de ton esprit, resserré en des bornes si étroites. »