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à Béatrice et à la sainte lampe qui auparavant avait pour moi changé de place [1].

Ce pourquoi ma Dame : « Exhale au dehors, me dit-elle, l’ardente vapeur de ton désir, de manière qu’en sortant elle offre bien l’image de l’interne empreinte ; non que notre connaissance croisse par ton parler, mais afin que, t’enhardissant à dire ta soif, on te verse à boire. » — O chère tige mienne, qui tellement t’élèves, que, comme voient les esprits terrestres qu’un triangle ne peut contenir deux angles obtus, ainsi tu vois, avant qu’elles soient, les choses contingentes, regardant le point [2] à qui tous les temps sont présents, tandis que j’étais avec Virgile en haut sur le mont où se guérissent les âmes, et en descendant dans le monde mort, me furent dites, touchant ma vie future, des paroles qui me pèsent, quoique je me sente bien affermi contre les coups du sort. Pour quoi mon désir sera satisfait d’entendre quelle fortune s’approche de moi ; car flèche prévue vient plus lentement [3].

Ainsi dis-je à cette même lumière qui auparavant m’avait parlé, et, comme le voulait Béatrice, mon désir fut confessé. Non par ces ambages où jadis s’engluait la gent insensée [4], avant que fût mis à mort l’Agneau de Dieu, qui ôte les péchés, mais par de claires paroles et en langage précis répondit cet amour paternel, enveloppé et brillant de sa propre allégresse : « la contingence, qui hors du livre de votre matière point ne s’étend [5], est toute peinte dans l’éternelle présence [6]. Elle n’en contracte cependant aucune nécessité,

  1. A Cacciaguida, qui était sorti de la croix lumineuse pour s’approcher de lui.
  2. Ce point auquel l’esprit, en montant toujours, parvient, après avoir traversé tous les cieux, et sur lequel il fixe ses regards, est Dieu ; et c’est pourquoi nous traduisons littéralement à qui, et non pas en qui.
  3. Moins forte est l’impression d’un mal prévu, comme moins profonde est la blessure que fait une flèche qui vient lentement.
  4. Les oracles obscurs dont les païens ne pouvaient démêler le sens.
  5. Le Poète compare la matière à un cahier, un livre où toute contingence est écrite, et ainsi le sens est : « les choses contingentes, qui sont toutes renfermées dans votre monde matériel. »
  6. Dans l’Être infini pour qui il n’existe qu’un présent éternel.