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je crus avec les miens toucher le fond de ma grâce et de mon Paradis. Ensuite l’esprit, délectable à ouïr et à voir, ajouta des choses que je ne compris point, si profondes étaient ses paroles : et non par choix il se cacha de moi, mais par nécessité, ses pensées surpassant la portée des mortels.

Lorsque assez détendu fut l’arc de l’ardente affection, pour que le parler descendît à la portée de notre intelligence, la première chose que j’entendis fut : « Béni sois-tu, toi trois et un, qui envers ma semence es si bon ! » Et il continua : « Un doux désir, depuis longtemps conçu en lisant dans le grand livre où ni blanc ni noir jamais ne se change [1], tu as satisfait, mon fils, au-dedans de cette lumière dans laquelle je te parle, grâces à celles qui pour le haut vol te revêtit d’ailes. Tu crois que ton penser vient à moi de celui qui est le premier [2], comme de l’Un, si on le connaît, rayonnent le cinq et le six [3] : et pour cela point tu ne me demandes qui je suis et pourquoi je me montre à toi plus rempli d’allégresse qu’aucun autre de cette troupe joyeuse. Est vrai ce que tu crois, que ceux de cette vie, petits et grands, voient dans le miroir [4] où avant que tu penses ton penser se découvre : mais, afin que l’amour sacré, dans lequel je veille en perpétuelle contemplation, et qui m’altère d’un doux désir, se rassasie mieux, que ta voix hardie et joyeuse avec assurance exprime la volonté, exprime le désir, auquel ma réponse est déjà décrétée. »

Je me tournai vers Béatrice ; et elle m’entendit avant que je parlasse, et me sourit un signe qui fit croître les ailes de mon vouloir ; puis je commençai ainsi : — L’amour et le savoir, lorsque vous apparut la première égalité, d’un même poids en chacun de vous se firent, parce que, dans le soleil [5] qui vous illumina et vous embrassa de sa chaleur et de sa lumière, ils sont si égaux qu’imparfaites sont toutes

  1. Le livre immuable de la prédestination, où l’on n’écrit point, où l’on n’efface point, c’est-à-dire : « où l’on n’ajoute et d’où l’on ne retranche jamais rien. »
  2. De Dieu, qui est le premier penser, la première intelligence.
  3. Comme de l’unité sortent tous les nombres.
  4. L’éternelle prévision divine.
  5. Dieu, en qui, tout étant infini, rien n’est ni plus petit ni plus grand