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Et Béatrice commença : « Rends grâces, rends grâces au Soleil des Anges, qui dans le Soleil sensible t’a élevé par sa grâce. »

Jamais cœur ne fut si disposé à dévotion, ni si prompt à se porter vers Dieu en toute reconnaissance, qu’à ces paroles je le devins ; et mon amour en lui tout entier s’absorba tellement, que Béatrice s’éclipsa dans l’oubli. Loin que cela lui déplût, elle en eut tant de joie, que l’éclat de ses yeux riants sur diverses autres choses attira mon esprit uni à Dieu.

Je vis plusieurs splendeurs, dont la vive lumière vainquit celle du Soleil, faire de nous un centre et de soi une couronne, plus douces encore de voix que brillantes à la vue. Ainsi voyons-nous quelquefois se ceindre la fille de Latone [1], quand l’air est si humide qu’il retient le fil [2] dont est faite la ceinture.

Dans la cour céleste d’où je reviens, se trouvent beaucoup de pierreries si précieuses et si belles, qu’on ne peut les sortir du Royaume [3] ; et le chant de ses lumières était de celles-là : qui pas assez ne s’empenne [4] pour voler là-haut, attende qu’un muet lui en donne des nouvelles [5].

Lorsque ainsi chantant, ces ardents Soleils autour de nous eurent tourné trois fois, comme des étoiles voisines d’un pôle fixe, ils me parurent tels que des dames, qui, suspendant leur danse, silencieuses s’arrêtent pour écouter, jusqu’à ce qu’elles aient recueilli les notes nouvelles : Et au dedans de l’un d’eux, j’entendis commencer : « Lorsque le rayon de la grâce, dont s’allume le véritable amour, et qui croit ensuite en aimant, multiplié en toi tant resplendit, qu’en haut il te guide par cette échelle que sans remonter nul ne descend [6], qui refuserait à ta soif le vin de sa fiole,

  1. Le halo, appelé aussi Couronne de la Lune.
  2. C’est-à-dire les couleurs produites par la réfraction de la lumière dans l’air humide.
  3. On sait que, dans les pays qui possèdent des mines précieuses, la libre sortie de leurs produits est prohibée.
  4. Qui ne se munit pas d’ailes assez puissantes.
  5. Le sens est que toute parole est muette pour donner une idée de la douceur de ce chant à qui ne l’a pas ouï.
  6. Allusion à l’échelle de Jacob.