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« Mais devant tes yeux, maintenant, à la traverse vient un autre passage, tel que de toi-même tu n’en sortirais pas, et serais las auparavant. Je t’ai donné pour certain qu’une âme bienheureuse ne pouvait mentir, parce qu’elle est toujours près du premier Vrai ; et ensuite tu as pu entendre de Piccarda, que Constance garda son attachement au voile, de sorte qu’ici elle paraît être avec moi en contradiction. Bien des fois déjà, frère, il est advenu que, pour fuir un péril, on a fait contre son gré ce qu’il ne convenait pas de faire ; comme Alcméon [1], qui, à la prière de son père, tua sa propre mère et par pitié fut impitoyable. Sur ce point, je veux que tu penses que la force se mêle à la volonté, et qu’ainsi mêlées elles font que les offenses ne peuvent être excusées. La volonté absolue [2] ne consent point au mal ; mais elle y consent en tant qu’elle craint, si elle résiste, de tomber dans un souci plus grand. En s’exprimant de la sorte, Piccarda donc entend la volonté absolue, et moi l’autre : ainsi nous disons vrai toutes deux. »

Telle fut l’ondoyer du saint ruisseau, qui sortait de la fontaine d’où dérive tout vrai [3] ; tel apaisa-t-il l’un et l’autre désir : O amante du premier amant, dis-je ensuite, ô femme divine, dont le parler m’inonde et m’échauffe tellement, que de plus en plus je me ravive ! Si profond que soit le sentiment que j’éprouve, point ne suffit-il à vous rendre grâce pour grâce : que m’acquitte Celui qui voit et qui peut. Je vois bien que jamais ne se rassasie notre intelligence, si ne l’éclairé le Vrai, de qui découle tout vrai. Comme l’animal dans sa tanière, elle se repose en lui, dès qu’elle l’a atteint, et elle peut l’atteindre, sans quoi tout désir serait frustrà [4]. Pour cela, ainsi qu’un rejeton, au pied du vrai naît le doute ; et c’est la nature qui, de col en col, nous pousse au sommet. Cela m’invite, cela m’enhardit, ô Dame, à vous adresser avec respect une nouvelle demande au sujet d’une autre vérité qui m’est obscure. Je voudrais savoir si

  1. Alcméon, fils d’Amphiaraüs, tua sa propre mère, à la prière de son père mourant.
  2. C’est-à-dire, « considérée en soi, séparément des causes extérieures qui la modifient. »
  3. De Dieu, source de toute vérité.
  4. Vain.