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CHANT TROISIÈME


Ce Soleil [1] qui d’amour jadis m’embrasa la poitrine, m’avait, en prouvant et en réfutant, découvert les doux traits de la belle vérité et moi, pour me confesser, désabusé et convaincu, aussi haut qu’il convenait pour parler je levai la tête. Mais apparut un objet qui attira mes regards, et les fixa tellement que de ma confession il ne me souvint plus. Telle qu’à travers des verres transparents et polis, ou des eaux limpides et tranquilles, non si profondes que le fond ne s’aperçoive pas, de notre visage l’image revient si faible, que moins fortement ne vient pas frapper nos pupilles une perle sur un front blanc ; telles vis-je plusieurs faces se préparant à parler ; d’où je tombai dans l’erreur contraire à celle qui alluma l’amour entre l’homme et la fontaine [2].

Aussitôt que je les aperçus, pensant que ce fussent des figures peintes en un miroir, pour voir de qui elles étaient je tournai les yeux ; et je ne vis rien, et je les ramenai en avant dans la lumière dont brillaient les yeux saints de mon doux Guide, qui souriait. « Ne t’étonne point », me dit-elle, « que je sourie de ton penser puéril, puisque tu n’appuies pas encore le pied sur le vrai, mais te tournes vainement ici et là, selon ta coutume. Ce que tu vois, ce sont de vraies substances, ici reléguées pour rupture de vœu. Parle-leur donc, et écoute, et crois, la véridique lumière qui les satisfait ne permettant pas que leurs pieds se détournent d’elle. » Et moi, à l’ombre qui de discourir paraissait la plus désireuse, je m’adressai, et je commençai, comme un homme que trouble un trop vif désir :

O esprit élu, qui, aux rayons de l’éternelle vie, sens la

  1. Béatrice.
  2. Narcisse qui, se voyant dans une fontaine, devint amoureux de lui-même, prenait son image pour une personne réelle, et Dante prenait des personnes réelles pour de simples images.