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Beaucoup de choses peut là, que ne peut ici notre force, grâce au lieu fait pour être la demeure propre de l’humaine espèce.

Je ne le supportai pas longtemps, non cependant si peu que je ne le visse étinceler tout autour, comme le fer qui du feu sort bouillant. Et tout à coup un nouveau jour parut être ajouté au jour, comme si Celui qui peut, d’un autre Soleil avait orné le ciel. Béatrice, debout, tenait ses yeux fixés sur les Cercles éternels ; et moi, d’en bas éloignant les miens, je les fixai sur elle, et si avant je pénétrai, que dans son aspect je me fis tel que se fit Glaucus [1], qui en goûtant de l’herbe, devint dans la mer le compagnon des autres Dieux.

Cette surhumaine transformation par des paroles ne saurait se décrire : que l’exemple donc suffise à celui à qui la grâce en réserve l’expérience. Si là était de moi cela seul que tu avais nouvellement créé [2], Amour qui gouvernes le ciel, tu le sais, toi qui m’élevas par ta lumière.

Lorsque la roue [3] qu’éternellement tu meus, ô désiré, à soi m’eut rendu attentif, par l’harmonie que tu règles et que tu distribues, me parut embrasée de la flamme du soleil une telle étendue du ciel, que ni pluie ni fleuve ne firent jamais un si vaste lac.

La nouveauté du son et l’éclat de la lumière allumèrent en moi un désir d’en connaître la cause, plus vif qu’aucun autre que j’eusse jamais senti. D’où elle, qui me voyait comme moi-même, afin de calmer mon âme agitée, avant que pour demander j’eusse ouvert la bouche, ouvrit la sienne, et commença : « Tu épaissis toi-même ta vue par une fausse imagination, tellement que tu ne vois pas ce que tu verrais si tu l’avais secouée. Tu n’es point sur la terre, comme tu le crois ; mais de son séjour propre la foudre descend moins vite que tu n’y montes. »

  1. Le pêcheur Glaucus, ayant vu des poissons, qu’il avait déposés sur l’herbe, se ranimer et sauter dans la mer, goûta de cette herbe, et devint un Dieu marin.
  2. « Si j’étais là corporellement, ou en esprit seulement. « Allusion aux paroles de saint Paul : — Si spiritu, vel corpore, nescio, Deus scit.
  3. Le firmament.