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tu les écriras, aie soin de ne pas celer ce que tu as vu de l’arbre qui vient d’être ici dépouillé deux fois. Quiconque le dépouille ou le brise, par un blasphème de fait offense Dieu, qui pour son seul usage le créa saint [1]. Pour l’avoir mordu, dans la peine et dans le désir, cinq mille ans et plus, la première âme [2] a aspiré à celui qui punit en soi la morsure [3]. Bien endormie est ton intelligence, si tu ne comprends pas que par une raison singulière il est si élevé, et si ravagé dans sa cime, et si autour de ton esprit n’eussent point été l’eau d’Elsa [4] les pensers vains et leur plaisir ce que fut Pyrame au mûrier [5], seulement par tant de circonstances [6], tu reconnaîtras, selon le sens moral, la justice de Dieu dans cette défense [7]. Mais parce que je vois que ton entendement est devenu pierre, et que dans le péché il s’est teint, de sorte que de mes paroles la lumière t’éblouit, je veux aussi que, sinon écrites, au moins peintes [8] au dedans de toi tu les rapportes pour le même motif qu’on rapporte le bourdon ceint de palmes. »

Et moi : — Comme empreinte par le sceau est la cire qui ne change point la figure imprimée, ainsi mon cerveau par vous vient d’être empreint ! Mais pourquoi votre parole désirée élève-t-elle son vol tant au-dessus de ma vue qu’elle la perd d’autant plus que plus elle s’efforce ?

« Afin, » dit-elle, « que tu connaisses l’école que tu as

  1. Parmi les interprètes, les uns disent que l’ « arbre » figure l’obéissance aux préceptes divins, obéissance exigée de Dieu pour conduire les hommes à la fin déterminée par ses éternels décrets. D’autres voient dans ce même « arbre » la figure de Rome, que Dieu créa sainte pour son seul usage, c’est-à-dire, seulement pour l’avantage de son Église.
  2. Le premier homme, Adam.
  3. Le Christ.
  4. Fleuve de Toscane, qui a la propriété de recouvrir d’une croûte calcaire les corps qu’on y plonge.
  5. C’est-à-dire, « si le plaisir que te causaient ces pensers vains, n’avait point souillé ton esprit, comme le sang de Pyrame souilla le fruit du mûrier, qui de blanc devint rouge. »
  6. La punition d’Adam et la mort du Christ.
  7. La défense de ne point dépouiller et briser l’« arbre. »
  8. « Je veux que, si tu ne comprends pas mes paroles, au moins tu les retiennes, et les rapportes en signe de ton voyage, comme le pèlerin rapporte son bourdon ceint de palmes. »