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pleine de stupeur et de joie, mon âme goûtait de cet aliment, qui, rassasiant de soi, de soi renouvelle la faim ; par leur démarche se montrant de la plus haute tribu [1], les trois autres s’avancèrent en chantant leur angélique carole. « Tourne, Béatrice, » chantaient-elles, « tourne tes yeux saints sur ton fidèle, qui pour te voir a fait tant de pas ! De grâce, accorde-nous de lui dévoiler ta face, pour qu’il contemple la seconde beauté [2] que tu cèles. »

O splendeur de la vive lumière éternelle ! Qui, tant eût-il pâli sous les ombres du Parnasse, ou bu à ses fontaines ne paraîtrait impuissant d’esprit, s’il tentait de te peindre telle que tu apparus là où le ciel t’enveloppe d’harmonie et de fleurs, lorsqu’au grand jour tu te découvris ?


CHANT TRENTE-DEUXIÈME


Tant étaient mes yeux fixes et attentifs pour étancher une soif de dix ans [3], qu’éteints étaient tous mes autres sens ; et ne se souciaient d’aucun autre objet [4] les yeux absorbés dans la splendeur sainte, qui les attirait avec l’antique rets, lorsque par force me firent tourner le visage vers ma gauche ces Déesses, qui me dirent que je regardais trop fixement.

Et cet éblouissement qu’éprouvent les yeux que le soleil vient de frapper, me priva quelque temps de la vue : mais après qu’elle se fut un peu raffermie, je dis un peu par rapport à l’abondante lumière dont je m’étais par force éloigné, je vis qu’à droite la glorieuse armée s’était

  1. De l’ordre le plus élevé des Esprits célestes.
  2. « La beauté nouvelle que tu as acquise dans le ciel. »
  3. Béatrice était morte en 1290, et Dante est supposé faire son voyage en l’an 1300.
  4. Littéralement : « Et les yeux d’ici et de là avaient un mur de non se soucier. » On peut juger, par cet exemple, combien la bizarrerie des métaphores, jointe à la concision elliptique, rend quelquefois obscure la pensée de Dante.