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à celui que te causait la vue des beaux membres dans lesquels je fus renfermée, et qui, dispersés, ne sont que terre. Et si, par ma mort, ce plaisir suprême te trompa, quelle chose mortelle devait désormais t’inspirer du désir !

Bien devais-tu, blessé une première fois par les choses trompeuses, t’élever plus haut derrière moi, qui n’était plus telle : point ne devais-tu abaisser tes ailes pour attendre d’autres coups, ou d’une jeune fille, ou de quelque autre vanité d’un si court usage.

Le petit oiseau, nouvellement éclos, attend [1] deux ou trois fois ; mais à ceux emplumés déjà, en vain tend-on des rets, et lance-t-on des flèches. »

Tels qu’écoutant, les enfants se tiennent, honteux et muets, les yeux à terre, se reconnaissant et se repentant ; tel me tenais-je, et elle me dit : « Puisque entendre seulement t’afflige, lève la barbe, et plus encore tu t’affligeras en regardant. »

Avec moins de résistance ou notre vent, ou celui de la terre d’Iarbe déracine [2] un chêne robuste, qu’à son commandement je ne levai le menton : et quand par la barbe elle désigna le visage, bien connus-je le venin [3] de l’argument. Et lorsque ma face se releva, l’œil comprit que ces premières créatures avaient suspendu leur aspersion [4]. Et mes yeux, encore peu assurés, virent Béatrice tournée vers l’animal qui est une seule personne en deux natures [5]. Au delà du vert ruisseau [6], sous son voile, elle se vainquait elle-même, dans sa beauté présente, plus qu’autrefois ici les autres. Là tellement me piqua l’ortie du repentir, que de toutes les autres choses, celle qui me détourna le plus dans son amour, je la pris le plus en haine. Un remords si vif me

  1. Demeure tranquille et sans défiance devant le danger qui le menace.
  2. Le vent d’Afrique, « opposé au nôtre, » c’est-à-dire au vent des contrées septentrionales.
  3. Le reproche amer caché sous le mot qui rappelle à Dante, que lorsqu’il se laissa égarer par la séduction des biens trompeurs, il n’était plus un enfant, mais un homme fait.
  4. Que les Anges furent, « les premières créatures de Dieu, » avaient cessé de répandre des fleurs.
  5. Le Griffon représente symboliquement le Christ, en qui sont unies les deux natures divine et humaine.
  6. Le Poète l’appelle « vert, » à cause de la verdure de ses bords.