Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/247

Cette page n’a pas encore été corrigée

habitude il eût été un modèle admirable : mais en plantes malignes et sauvages d’autant plus est fertile le sol non cultivé, que la terre a plus de vigueur. Avec mon visage quelque temps je le soutins ; lui montrant ses jeunes yeux, avec moi il le conduisait dans la voie droite. Mais, dès qu’au seuil de mon second âge, j’eus changé de vie [1], il me quitta pour se donner à d’autres. Lorsque de la chair à l’esprit j’eus monté, et que ma vertu et ma beauté se furent accrues [2], je lui plus moins et lui fus moins chère : Il engagea ses pas dans une route trompeuse, poursuivant de fausses images du bien, qui ne tiennent pas ce qu’elles promettent ; et point ne me servit d’obtenir les inspirations par lesquelles, et en songe et autrement, je le rappelai ; tant il en eut peu de souci. Si bas il tomba, que, pour le sauver, nul autre moyen ne restait que de lui montrer la race perdue. Pour cela, je visitai la demeure des morts, et à celui qui ici-haut l’a conduit, pleurant je fis porter mes prières. De Dieu serait rompu le suprême décret, si l’on passait le Léthé, et que l’on goûtât d’une telle nourriture [3], sans avoir, en payement, versé des larmes de repentance. »


CHANT TRENTE-ET-UNIÈME


Tournant vers moi la pointe de son parler, dont le tranchant même m’avait paru poignant [4] : « O toi qui es au delà du fleuve sacré, » poursuivit-elle sans retard, « dis, dis, si cela est vrai ; à une si grave accusation, il convient que ta confession se joigne. »

  1. « J’eus passé à une autre vie. »
  2. Dans le ciel où les élus atteignent leur perfection.
  3. Les joies du ciel.
  4. Ce que Béatrice vient de dire aux Anges ne s’adressait à Dante que d’une manière indirecte. Maintenant elle lui parle directement, c’est ce que signifie : la pointe et le tranchant du parler.