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elles ne le paraissent. Ainsi ruminant, et ainsi les regardant, me prit le sommeil, le sommeil qui souvent, avant qu’il soit, sait ce qui sera.

A l’heure, je crois, où, sur le mont, commença à luire Cythérée, qui du feu d’amour toujours paraît ardente, il me semblait en songe voir une Dame jeune et belle se promener dans une prairie, cueillant des fleurs ; et chantant, elle disait : « Sache quiconque demande mon nom, que je suis Lia, et je vais mouvant à l’entour mes belles mains pour me faire une guirlande. Pour me plaire au miroir, ici je me pare ; ma sœur Rachel, du miroir, elle, jamais ne s’éloigne, et tout le jour elle est assise. A voir ses beaux yeux elle se complaît, comme moi, à m’orner avec les mains : le voir est sa joie, et l’agir, la mienne. »

Déjà, devant les lueurs de l’aube, d’autant plus douces aux voyageurs que moins loin ils sont de la patrie où ils reviennent, fuyaient de tous côtés les ténèbres, et avec elles mon sommeil : par quoi je me levai, voyant les grands Maîtres déjà debout.

« Ce doux fruit que sur tant de rameaux va cherchant le souci des mortels, aujourd’hui apaisera ta faim. » Ces paroles m’adressa Virgile, et jamais don ne fit un plaisir égal. Tant désir sur désir il me vint d’être en haut, qu’à chaque pas, ensuite, pour voler je me sentais croître les ailes.

Lorsque tout l’escalier, au-dessous de nous eut été parcouru, et que nous fûmes sur la dernière marche, Virgile sur moi fixa ses yeux, et dit : « Tu as vu, mon fils, le feu temporel et l’éternel, et tu es parvenu en un lieu où par moi-même plus rien je ne discerne. Par industrie et par art ici je t’ai amené ; prends maintenant ton bon plaisir pour guide : tu es hors des routes escarpées, hors des voies étroites. Vois le Soleil qui reluit devant toi ; vois l’herbe, les fleurs et les arbustes que cette terre produit d’elle-même. Tandis que pleins de joie viennent les beaux yeux dont les larmes me firent venir à toi, tu peux t’asseoir, et ensuite aller à travers ces campagnes. N’attends plus mon dire ni mon signe : droit et sain est ton libre arbitre, et ce serait une faute que de ne pas agir suivant son jugement ; ce pourquoi, souverain de toi-même, je te couronne et te mitre. »