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et qu’à none il réchauffe les eaux du Gange : ainsi était le Soleil, de sorte que le jour baissait, quand resplendissant de joie l’Ange de Dieu nous apparut.

Hors de la flamme, sur le bord il se tenait, et chantait : « Beati mundo corde [1], » d’une voix beaucoup plus vivante que la nôtre.

Ensuite : « Plus loin ne va-t-on, âmes saintes, si auparavant on ne sent la morsure du feu : entrez-y, et au chant d’au delà ne soyez pas sourdes. » Ainsi dit-il quand nous fûmes près de lui : par quoi je devins, en l’entendant, tel que celui qu’on met dans la fosse [2].

Je tendis en avant les mains jointes, et m’allongeai, regardant le feu, et vivement me représentant les corps humains que déjà j’avais vu brûler. Vers moi se tournèrent mes bons Guides, et Virgile me dit : « Mon fils, souffrir ici l’on peut, mais non mourir. Souviens-toi, souviens-toi ! Si sur Géryon même, sauf je te guidai, que ferai-je maintenant que je suis plus près de Dieu ? Tiens pour certain que, fusses-tu mille ans dans le sein de cette flamme, elle ne pourrait te dépouiller d’un cheveu. Et si peut-être tu crois que je te trompe, approche-toi d’elle, et que tes mains en fassent l’épreuve avec le bord de ta robe. Dépose désormais, dépose toute crainte ; avance, et vas avec confiance. Et moi cependant je m’arrête, contre ma conscience. »

Lorsqu’il me vit obstinément demeurer immobile, un peu troublé il dit : « Mon fils, entre Béatrice et toi est ce mur. » Comme, au nom de Thisbé, Pyrame, près de la mort, ouvrit les yeux et la regarda, alors que le mûrier devint vermeil [3] ; ainsi, ma dureté s’étant amollie, je me tournai vers

  1. Bienheureux ceux qui ont le cœur pur ! — Une des huit béatitudes évangéliques.
  2. Allusion au supplice de ceux qu’on enterrait vifs la tête en bas.
  3. Lorsque les fruits du mûrier, lesquels étaient blancs auparavant, devinrent rouges, après avoir été teints du sang de Thisbé, qui se tua sur le corps de Pyrame.