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pas, légère par maigreur et par vouloir. Et comme celui qui est las de courir, laisse aller ses compagnons et doucement va, jusqu’à ce que la poitrine ait cessé de haleter ; ainsi Forésé laissa passer le saint troupeau, et derrière moi il venait, disant : « Quand te reverrai-je ? » — Je ne sais, lui répondis-je, combien j’ai à vivre ; mais ne sera, certes, mon retour si prompt que par mon vouloir plus tôt je ne sois à la rive ; car le lieu où pour vivre je fus mis, de jour en jour plus maigre de bien, paraît près d’une triste ruine.

« Or, va ! » dit-il ; « celui à qui le plus en est la faute [1], je le vois, à la queue d’une bête, traîné vers la vallée [2] où jamais ne s’efface la faute : la bête à chaque pas va plus vite, et toujours plus vite, jusqu’à ce qu’elle le brise, et laisse le corps hideusement broyé. Ces sphères n’ont pas longtemps à tourner (et il leva les yeux au ciel), avant que te soit clair ce que plus clairement dire je ne peux. Reste, maintenant [3] ; si précieux dans ce royaume est le temps, que j’en perds trop à venir avec toi côte à côte. »

Tel que quelquefois, au galop, le cavalier sort des rangs, et chevauche, et s’élance pour emporter l’honneur du premier choc ; tel, allongeant ses pas, il s’éloigna de nous ; et je demeurai sur le chemin, avec deux qui du monde furent de si grands maîtres. Et quand il fut si loin devant nous, que mes yeux le suivaient comme mon esprit suivait ses paroles [4], m’apparurent les rameaux chargés et verdoyants d’un autre pommier peu éloigné qui, seulement alors, de notre côté fut à découvert [5].

Je vis dessous des gens élever les mains, et crier je ne sais quoi vers le feuillage, comme des enfants pressés d’une

  1. Corso Donati, chef des Noirs, fuyant le peuple qui le poursuivait, tomba de cheval, et son pied s’étant embarrassé dans l’étrier, il fut rejoint par ses ennemis qui le tuèrent. Dante suppose qu’il fut mis en pièces par le cheval qui le traînait.
  2. L’Enfer.
  3. « Je te laisse, maintenant. » Forésé quitte Dante pour rejoindre ses compagnons condamnés à tourner en courant dans un cercle qui toujours les ramène, et toujours en vain, au pied de l’arbre dont le fruit apaiserait leur faim.
  4. Le sens est qu’à mesure qu’il s’éloignait, Dante le distinguait moins, comme il entendait moins ses paroles.
  5. C’est-à-dire qu’auparavant, la courbure du mont le cachait.