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encore : celui-ci, qui en haut guide mes yeux, est ce Virgile, à qui tu dois d’avoir chanté avec éclat les hommes et les Dieux. Si tu as cru que mon sourire eût une autre cause, tiens-là pour fausse, et attribue-le à ce que tu as dit de lui.

Déjà il s’inclinait pour baiser les pieds de mon Maître ; mais celui-ci lui dit : « Non, frère ! ombre tu es, et tu vois une ombre. » Et lui, se relevant : « Tu peux juger de l’ardeur de mon amour pour toi, lorsque, oubliant que nous ne sommes que des formes vaines, je traite les ombres comme des corps réels. »


CHANT VINGT-DEUXIÈME


Déjà derrière nous l’Ange était resté, l’Ange qui nous avait acheminés vers le sixième cercle, après avoir effacé de mon front une empreinte ; et avec ceux qui à désir ont la justice, il nous avait dit beati, et le reste des paroles avec sitiunt, sans ajouter rien autre chose [1]. Et moi, plus léger qu’aux autres entrées [2], si facilement j’allais, que sans aucun travail, je suivais en haut les rapides esprits ; quand Virgile commença : « Un amour qu’enflamme la vertu, enflamme toujours un autre amour, pourvu qu’au dehors la flamme paraisse. Ainsi, du moment où parmi nous dans les limbes, de l’Enfer descendit Juvénal, qui me révéla ton affection, la mienne fut la plus vive qu’on puisse ressentir pour une personne qu’on ne vit jamais ; de sorte que courts maintenant me paraîtront ces escaliers. Mais dis-moi, et, comme ami,

  1. Nous lisons avec Cesari, suivant la leçon du manuscrit de M. Capilupi, de Mantoue, e le sue voci, au lieu de in le su voci. Le sens est que l’Ange qui les avait conduits au sixième cercle, leur avait dit : Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam. — Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ! — c’est-à-dire qu’il chantait en s’en allant cette Béatitude, que répètent les âmes dans le cercle où l’Avarice est punie ; et l’avarice est, en effet, le vice opposé à ces commandements du Christ : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa Justice ; — Quœrite primium regnum Dei, et justitiam ejus.
  2. A cause du P symbolique effacé par l’Ange.