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moi de nouveaux doutes. Car, si vient du dehors ce qui détermine l’amour, et que l’âme n’ait point d’autre moteur, qu’elle aille droit, ou qu’elle dévie, ce n’est pas son mérite. Et lui à moi : « Tout ce qu’ici voit la raison, je puis te le dire ; pour ce qui est au delà, attends Béatrice ; car c’est sujet de foi. Toute forme substantielle, distincte de la matière et unie avec elle, a en soi une vertu spécifique, laquelle n’est sentie que par son opération et ne se manifeste que par son effet, comme la vie dans la plante par le vert feuillage : ainsi, d’où vient l’intelligence des premières notions et le sentiment des premiers objets que l’âme appète, l’homme ne le sait ; car ils sont en vous comme dans l’abeille l’instinct de faire le miel : et ce premier désir n’a rien qui mérite louange ou blâme. Or, afin qu’à elle viennent s’unir toutes les autres, innée en vous est la vertu qui conseille, et qui doit garder le seuil du consentement. Celle-ci est le principe qui vous rend capable de mériter, selon qu’il accueille et choisit les bons et les mauvais amours. Ceux dont la raison a été au fond, ont reconnu cette liberté innée, et ils ont ainsi conservé la morale dans le monde. D’où, suppose que tout amour, qui au dedans de vous s’enflamme, y naisse, nécessairement, en vous est la puissance de le contenir. Par libre arbitre, Béatrice [1] entend la noble vertu ; au soin de t’en souvenir, si elle t’en parle.

La lune, qui avait retardé son lever presque jusqu’au milieu de la nuit [2], semblable à un bassin embrasé, nous faisait paraître les étoiles plus rares, et à l’encontre du ciel [3], elle parcourait la route que le soleil enflamme, alors qu’à son déclin ceux de Rome le voient entre les Sardes et les Corses [4] : et cette noble ombre, par qui plus renommée

  1. La théologie est ici personnifiée en Béatrice.
  2. La lune était en son plein lorsque Dante commença son voyage. Se levant alors tous les soirs après le coucher du soleil, et chaque jour plus tard d’environ trois quarts d’heure, elle devait, le cinquième jour, se lever presque au milieu de la nuit.
  3. Ces mots indiquent le mouvement propre et périodique de la lune qui s’accomplit d’occident en orient, au contraire du ciel étoilé qui se meut d’orient en occident.
  4. A l’extrémité du signe du Scorpion, où le soleil était alors, il se couche, par rapport aux habitants de Rome, entre la Sardaigne et la Corse.