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Ugolin d’Azzo [1], qui vécut avec nous, Frédéric Tignoso [2] et ses compagnons, la maison Traversara et les Anastagi [3] (et l’une et l’autre race est déshéritée) [4] : si je pleure les dames et les cavaliers, les soucis et les joies qu’en eux excitaient l’amour et la courtoisie, là où les cœurs sont devenus si mauvais. O Brettinoro [5], que ne fuis-tu, puisque ta famille, avec tant d’autres, s’en est allée pour ne pas se corrompre ? Bien fait Bagnacavallo, qui ne veut point de fils, et mal, Castrocaro, et pis, Conio [6], plus empressé d’engendrer de tels comtes. Bien feront les Pagani [7], lorsque leur démon s’en ira ; non cependant que jamais il reste d’eux une mémoire pure. O Ugolin de’ Fantoli, en sûreté est ton nom, parce que ne s’attend plus de toi, qui puisse en forlignant l’obscurcir. Mais va, Toscan, car trop plus maintenant me délecte le pleurer que le parler, tant notre pays m’a serré le cœur. »

Nous savions que ces chères âmes nous entendaient aller ; et ainsi, en se taisant, elles nous donnaient confiance dans le chemin [8].

Lorsqu’ayant avancé nous fûmes seuls, semblable à la foudre qui fend l’air, de devant nous vint une voix : « Me tuera quiconque me rencontrera [9]. » Et elle s’enfuit, comme

  1. De la famille toscane des Ubaldini, mais qui, dit Guido del Duca, vécut avec nous, c’est-à-dire dans la Romagne.
  2. D’une noble famille de Rimini.
  3. Ces deux familles étaient de Ravenne.
  4. Des vertus de ses ancêtres.
  5. Petite ville de la Romagne, et patrie de Guido, qui l’adjure de fuir aussi, puisqu’on fuit d’elle, pour ne pas se corrompre ; la famille des Guidi, et tant d’autres avec elle.
  6. Bagnacavallo, Castrocaro et Conio, situés également dans la Romagne, avaient pour seigneurs des comtes de fort mauvais renom, c’est pourquoi Guido, continuant son apostrophe, loue Bagnacavallo de laisser éteindre les siens, et blâme Castrocaro et Conio de perpétuer la lignée des leurs.
  7. Les fils de Mainardo Pagani, qu’à cause de ses perfidies on avait surnommé le Diable, gouverneront bien Faënza (d’autres disent Imola quand leur père mourra, mais non cependant de telle manière qu’ils soient exempts de tout reproche.
  8. « Leur silence nous assurait que nous étions dans le bon chemin. »
  9. C’est le mot de Caïn, après que par envie il eut tué son frère Abel : Omnis qui invenerit me, occidet me. Genèse, cap, IV.