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s’accomplissent pour moi autant de révolutions célestes que ma vie eut de durée, parce que je différai jusqu’à la fin les bons soupirs ; à moins qu’auparavant ne m’aide une prière qui s’élève d’un cœur où vive la grâce : que valent les autres, que le ciel n’écoute point ? »

Déjà devant moi le Poète montait, et disait : « Viens maintenant ; vois, le soleil touche au méridien, et, sur la rive, la nuit, du pied, couvre le Maroc [1]. »


CHANT CINQUIÈME


J’avais déjà quitté ces ombres, et je suivais les traces de mon Guide, quand, derrière, me montrant du doigt, une d’elles cria : « Vois, il semble que les rayons ne luisent pas à gauche de celui d’au dessous [2], et il paraît marcher comme un vivant. » A cette parole, les yeux se tournèrent, et je les vis me regarder avec étonnement, moi seul, moi seul et la lumière brisée. « Pourquoi tant, dit le Maître, ton âme s’embarrasse-t-elle, que l’aller se ralentisse ? Que te fait ce qui se murmure ici ? Suis-moi, et laisse dire ces gens : sois ferme comme une tour dont la cime jamais ne ploie au souffle des vents. Car toujours l’homme en qui d’une pensée germe une autre pensée, s’éloigne de son objet, l’élan de l’une amortissant celui de l’autre. »

Que pouvais-je répondre, sinon : je viens ? Je le dis, le visage légèrement couvert de cette couleur qui quelquefois rend l’homme digne de pardon.

Cependant, traversant la côte, venaient un peu devant nous, des gens qui chantaient Miserere [3], verset à verset. Lorsqu’ils s’aperçurent que mon corps ne laissait point

  1. « Il est minuit ici, et la nuit commence dans le Maroc. »
  2. « De celui qui est le plus bas. » Cette ombre s’étonne que Dante intercepte les rayons du soleil, ce que ne font pas ceux qui habitent ces lieux, ayant laissé leurs corps sur la terre.
  3. Le psaume Miserere mei, Deus.