Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/146

Cette page n’a pas encore été corrigée

voient vers la région chaude. Mais, s’il te plaît, volontiers saurais-je combien nous avons à aller, car le mont s’élève plus que ne peuvent s’élever mes yeux. Et lui à moi : — Telle est cette montagne, que toujours au commencement, en bas, elle est rude ; mais plus on monte, moindre est la peine. Quand donc elle te paraîtra si aisée, que tu monteras aussi légèrement qu’en bateau l’on descend le courant, alors tu seras au bout de ce sentier : attends-là le repos de ta fatigue. Plus ne réponds : cela je le sais vrai. »

Après qu’il eut dit cette parole, une voix tout près se fit ouïr : « Peut-être auparavant auras-tu besoin de t’asseoir. »

Au son de cette voix, nous nous retournâmes, et nous vîmes à main gauche un grand rocher, que ni lui ni moi n’avions aperçu d’abord. Nous nous y traînâmes : là étaient des gens qui se tenaient à l’ombre derrière le rocher, comme par nonchalance on se pose. Et l’un d’eux, qui me paraissait las, était assis et embrassait ses genoux, la tête entre eux baissée.

— O mon doux Seigneur, dis-je, regarde celui qui se montre plus indolent que si la Paresse était sa sœur.

Lors, prenant garde, vers nous il se tourna, levant les yeux seulement au-dessus de la cuisse, et dit : « Monte, toi qui es vaillant. » Je le reconnus alors, et la fatigue, qui encore un peu hâtait ma respiration, ne m’empêcha point d’aller à lui : et quand je fus près, à peine souleva-t-il la tête, disant : « As-tu remarqué comme le soleil à gauche conduit son char ? »

Son lent mouvoir et ses courtes paroles amenèrent un peu le rire sur mes lèvres ; puis je commençai : — Belacqua [1], plus maintenant je ne te plains [2] ; mais, dis-moi, pourquoi ici es-tu assis ! Attends-tu une escorte ? ou as-tu repris ta vieille habitude [3] ? Et lui ; « O frère, monter, qu’importe ? puisqu’aux peines ne me laisserait point aller l’oiseau de Dieu qui garde la porte [4]. « Il faut que, hors d’elle,

  1. Habile facteur d’instruments de musique, mais très paresseux.
  2. Il ne le plaint pas, parce que son salut est désormais assuré.
  3. « Ton ancienne paresse. »
  4. « Puisque l’ange qui garde la porte du lieu où je dois subir ma peine ne m’y laisserait point entrer. »