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qu’au fond du cœur m’avait troublé durant la nuit que je passai avec tant d’angoisse fut un peu apaisée.

Et comme celui qui, sorti de la mer, sur la rive haletant se tourne vers l’eau périlleuse, et regarde ; ainsi se tourna mon âme fugitive pour regarder le passage que jamais ne traverse aucun vivant [1].

Quand j’eus reposé mon corps fatigué, je repris ma route par la côte déserte, de sorte que le pied ferme était le plus bas [2], et voici qu’apparut, presque au pied du mont, une panthère agile et légère couverte d’un poil tacheté [3].

Elle ne s’écartait pas de devant moi, et me coupait tellement le chemin que plusieurs fois je fus près de retourner.

C’était le temps où le matin commence, et le soleil montait avec ces étoiles qui l’entouraient, quand le divin Amour mut primitivement ces beaux astres ; de sorte que le gai pelage de cette bête fauve [4], l’heure du jour et la douce saison me conviaient à bien espérer : non toutefois que ne m’effrayât la vue d’un lion [5] qui m’apparut. Il paraissait venir contre moi, la tête haute, avec une telle rage de faim que l’air même semblait en effroi. En même temps une louve [6] qui, dans sa maigreur, semblait porter en soi toutes les avidités, et qui a déjà fait vivre misérables bien des gens. Elle me jeta en tant d’abattement, par la

  1. Parce qu’il conduit au royaume des morts ; ou, selon d’autres, parce que les âmes abandonnées au vice sont des âmes mortes.
  2. En montant, le corps s’appuie sur le pied qui est en arrière.
  3. Ceux qui Interprètent ce qui précède en un sens politique, entendent par « la panthère », Florence qui repoussait Dante, condamné par elle au bannissement. Ceux qui, selon nous avec plus de raison, voient dans le récit du Poète une allégorie générale de la vie humaine, pensent que la panthère représente les appétits des sens, la luxure.
  4. Comment le « gai pelage » de la panthère qui empêche Dante de monter la colline, peut « le convier à bien espérer, » cela n’est pas facile à comprendre. Il parait bien que le gai pelage doit signifier ici les apparences flatteuses, les dehors séduisants de la passion ; mais cela n’ôte pas la difficulté, et le fond de la pensée reste toujours obscur.
  5. L’ambition affamée d’honneurs et de pouvoir, disent les uns ; — Charles de Valois, qui conduisit en Italie les armées françaises, et les tourna contre les Gibelins, disent les autres.
  6. Il faut sous-entendre m’apparut aussi. Selon les uns, la louve représente l’avarice ; — selon les autres, la Rome papale, chef du parti Guelfe.