Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/116

Cette page n’a pas encore été corrigée

me dit : « Regarde donc [1] ! à peu tient que contre toi je ne me fâche. » Lorsque avec colère j’entendis mon Maître me parler, je me tournai vers lui si honteux, qu’encore en ai-je le souvenir présent. Et comme celui qui songe quelque sien dommage, et songeant souhaite que ce ne soit qu’un songe, de sorte qu’il désire ce qui est, comme s’il n’était pas ainsi, ne pouvant parler, je désirais m’excuser, et je m’excusais réellement, et ne croyais pas que je le fisse. « Moins de honte, dit le Maître, lave une faute plus grande que la tienne ; secoue donc toute tristesse, et s’il advient de nouveau que, parmi des gens qui aient de tels débats, la fortune te conduise, pense que toujours je suis près de toi. Vouloir ouïr cela est un bas vouloir. »


CHANT TRENTE-ET-UNIÈME


Une même langue d’abord me mordit, de manière que rougirent l’une et l’autre joue, et ensuite m’appliqua le remède, ainsi ai-je ouï dire que la lance d’Achille et de son père [2], tour à tour était cause de tristesse et de joie.

Nous tournâmes le dos à ce val de misère, traversant, en silence, par dessus la berge qui tout autour le ceint. Là, il n’était ni nuit ni jour, de seule que peu avant s’étendait la vue ; mais j’entendis un cor sonner si fortement, que le bruit du tonnerre il aurait étouffé : et à l’encontre du son, je dirigeai mes regards vers le lieu d’où il venait.

Après la déroute douloureuse [3], quand de Charlemagne fut ruinée la sainte entreprise, si terriblement ne sonna pas Roland.

  1. « Continue de regarder, sans perdre le temps à écouter ceux-là. »
  2. Les poètes disent que la lance d’Achille, laquelle avait auparavant appartenu a son père Pélée, avait la vertu de guérir les blessures qu’elle avait faites.
  3. La défaite de Roncevaux.