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yeux sur moi, et prenant à deux mains les deux côtés de sa poitrine, il me cria :

— Vois toutes mes entrailles ; vois donc comme est traité Mahomet. Ali pleure et marche devant moi, la tête fendue jusqu’au menton : avec nous marchent et pleurent les sectaires et séminateurs de scandale ; comme ils ont divisé le monde, ils vont ainsi tronqués et misérablement découpés : car un Ange est là-bas qui nous attend, et nous passe tour à tour au tranchant de son glaive ; et quand nous avons parcouru le cercle de douleur, il rouvre encore nos blessures qui se referment sans cesse [2]. Maintenant, dis-nous qui tu es, toi qui t’arrêtes là-haut, pour temporiser sans doute avec ta dure destinée.

— Celui-ci, répliqua mon guide, ne connaît encore ni trépas ni damnation ; et moi qui les connais, je viens le conduire de cercle en cercle à travers l’abîme : tu peux croire à la vérité de mes paroles.

Les morts qui l’entendirent au fond de la vallée suspendirent leur marche, et me contemplèrent, dans leur surprise oubliant leurs tourments.

— Va donc, toi qui verras dans peu le soleil ; et dis à ton frère Dolcin [3] qu’il s’arme et s’approvisionne, s’il ne veut bientôt me suivre ici-bas ; car les Novarois le forceraient au milieu des neiges, malgré sa retraite escarpée.