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foi [10]. Et comme jadis Constantin, dans les cavernes du Soracte, montrait sa lèpre au solitaire Sylvestre, et demandait guérison [11] ; ainsi Boniface descendit dans mon cloître, et là, sans pudeur pour son habit pontifical et pour ma robe grise, signe de pénitence, il me montra son coeur gangrené d’ambition, sollicitant ma politique de lui donner conseil, et de guérir sa fièvre. Mais je restai muet, tant j’eus pitié de son ivresse ! Alors il insista, et me dit : « Ne crains rien ; apprends-moi seulement l’art d’emporter Préneste, et je t’absous d’avance : je puis, comme tu sais, ouvrir le Ciel et le fermer à mon choix ; c’est pourquoi j’ai les deux clefs dont sut mal se servir mon devancier [12]. » Le poids de sa raison entraîna la mienne, et je ne vis plus de danger que dans le silence. « Dès que vous me lavez, lui dis-je, du mal que je suis prêt à faire, promettre et ne pas tenir vous fera triompher de tous vos ennemis. » Or, quand j’eus rendu l’âme, saint François descendit pour m’enlever ; mais l’ange noir accourut et lui dit : « Arrêtez ; c’est à moi qu’il est dû : il me fut dévolu pour le conseil frauduleux qu’il donna, et dès lors je n’ai plus lâché prise ; car il n’est pas d’absolution sans pénitence, et le cœur ne saurait se repentir et pécher à la fois : il faut ici quelque distinction. » Ah ! malheureux, comme je frissonnai quand Lucifer me saisit et me dit : « Tu ne t’atten-