Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/84

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La flamme, s’inclinant et se dressant tour à tour, gémit et me répond :

— Tu partirais sans entendre ma voix si mes paroles devaient être reportées dans le monde : mais s’il est vrai que jamais créature n’ait remonté de ces bords au séjour des vivants, je parlerai sans crainte d’infamie. J’ai d’abord fait la guerre, et depuis j’ai porté le froc, espérant qu’un cœur ceint du sacré cordon obtiendrait l’oubli de ses erreurs passées ; et je l’eusse obtenu sans le prêtre maudit qui me rengagea dans le crime et la perdition, comme tu vas l’entendre [9]. Aux belles années de ma vie, et tant qu’il m’est resté quelque chaleur dans les veines, j’ai combattu, je l’avoue, moins en lion qu’en renard ; m’enveloppant si bien de mes finesses, et conduisant ma trompeuse renommée avec tant d’artifice, que la terre ne parlait plus que de ma gloire et de ma sagesse. Toutefois me voyant arrivé à cette froide saison où l’homme devrait ployer la voile et rentrer dans le port, je me retirai du labyrinthe où je m’étais plu d’égarer ma jeunesse, et dans l’amertume de mon cœur je versai les larmes salutaires du repentir. Mais, ô disgrâce ! le prince des nouveaux Pharisiens avait alors la guerre, non avec le Juif et l’Arabe, mais aux portes de l’Église, avec des vrais Chrétiens ; et pourtant aucun d’eux n’avait commercé en pays infidèle, ou prêté son bras aux ennemis de la