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— Ce n’est point sans déplaisir, me répondit-il, que je ferai l’aveu que tu demandes ; mais je ne puis le refuser à ton langage, qui me rappelle un monde où je ne suis plus. C’est moi qui séduisis la belle Gisole, et qui l’ai vendue aux désirs du marquis [4], quoi qu’en dise la renommée ; et je ne suis pas le seul Bolonais qui gémisse en ces lieux : les rivages de la Savenne et du Reno [5] n’ont jamais retenti de tant de voix bolonaises que les cavités sombres de cette triste vallée ; tu le croiras sans peine si tu penses combien nous sommes tous altérés de la soif de l’or.

Il parlait encore, et tout à coup un démon fait siffler autour de ses reins les nœuds du fouet vengeur, en lui criant :

— Marche, infâme ; il n’est point ici de femme à vendre.

Je retournai vers mon guide [6], et bientôt nous arrivâmes devant un rocher qui du pied des remparts s’élevait comme un vaste pont sur la première vallée : nous le gravîmes ensemble, et du haut de sa voûte escarpée, nos yeux plongèrent sur les deux rangs de coupables.

— Tourne la tête, dit mon guide, et tu verras à visage découvert ceux qui fuyaient devant nous, et que tu ne connais pas encore.

— Je me tournai ; et je vis passer sous l’antique pont la file immense des malheureux flagellés. Aussitôt, prévenant mon désir, le sage me dit :