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m’envier à moi-même le fruit de tant de larmes, si toutefois le ciel ou quelque heureux instinct m’appellent à la vertu [3].

Comme dans la saison où le flambeau du monde fatigue de sa présence nos climats brûlés ; vers l’heure où la mouche légère fait place aux insectes de la nuit, le laboureur voit du haut des collines les vers luisants semés comme des étincelles dans la plaine [4] : ainsi je vis du sommet de ces rocs la huitième vallée toute resplendissante : mais ces clartés recelaient des âmes criminelles, et me semblaient se mouvoir dans la profonde enceinte, pareille à cette nue embrasée où disparut Élie, quand deux chevaux de feu, se dressant vers le ciel, l’emportèrent loin d’Élisée, qui le suivait à peine de ses yeux éblouis.

Tout entier à ce spectacle, je me penchais hors du pont qui surmonte la vallée, et j’y serais tombé sans l’appui des rochers où mes mains s’attachèrent.

Alors mon guide rompit le silence.

— Les feux mouvants que tu regardes nous dérobent autant de coupables ; chacun d’eux marche enveloppé du feu qui le consume.

— Maître, répondis-je, telle était ma pensée ; mais ne pourrais-je savoir quelle est cette flamme qui s’élève et se partage, comme jadis au bûcher d’Étéocle et de son frère [5] ?

— C’est, reprit-il, pour Ulysse et Diomède qu’elle fut allumée ; c’est là qu’ils pleurent,