Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/23

Cette page n’a pas encore été corrigée

comment j’aurais pu contempler d’un œil sec l’effigie de notre humanité si tristement défigurée, et supporter le spectacle de ces infortunés, versant à jamais des larmes qui n’arrosent plus leurs poitrines !

Appuyé sur les durs rochers qui s’élevaient autour de moi, je les inondais de mes pleurs, quand mon guide me dit :

— Eh quoi ! ne serais-tu donc aussi qu’une âme vulgaire ? On est sans pitié pour des maux sans mesure. Ne sont-ils pas assez criminels, ceux qui osèrent être les émules d’un Dieu ? Relève-toi, et regarde celui que la terre déroba tout à coup à la vue des Thébains, qui lui criaient [2] : « Amphiaraüs, où fuis-tu donc loin du combat ? » Et cependant, il tombait de gouffre en gouffre, et roulait aux pieds de Minos, qui frappe à chacun l’inévitable coup. Pour avoir porté ses regards trop avant, il ne voit plus qu’en arrière ; et c’est ainsi qu’il rebroussera dans l’éternité. Voilà Tirésias [3], qui, transformé deux fois, passa tour à tour d’un sexe à l’autre : devenu femme pour avoir frappé deux serpents, et les frappant encore pour reprendre sa dépouille virile. Arons [4] vient ensuite, et son menton repose sur son dos. Il avait creusé sa grotte augurale dans ces montagnes où sans cesse le marbre crie sous les efforts de l’habitant de Carrare [5]. C’est de là qu’épiant l’avenir, il promenait son œil prophétique sur le miroir des eaux et dans