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— Ombres impies, et si impies, que la dernière place des Enfers vous est donnée, arrachez-moi des yeux ces voiles cruels, afin que mon coeur trop plein puisse verser un peu de sa douleur, avant que mes larmes ne se gèlent encore.

— Si tu désires mon assistance, lui dis-je, apprends-moi qui tu es ; et puissé-je aller m’asseoir à côté de toi, si je te la refuse !

L’ombre reprit :

— Je suis frère Albéric, et c’est moi qui donnai les fruits de trahison : ils me sont bien payés avec usure [5].

— Eh quoi ! lui dis-je, est-il donc vrai que tu sois déjà mort ?

— J’ignore, ajouta-t-il, le destin du corps que j’ai laissé là-haut : car tel est le privilége de cette Ptolomée, qu’un homme puisse y tomber de son vivant ; et pour que tu délivres plus tôt mes yeux de leurs glaçons, je t’apprendrai que, lorsqu’une âme porte aussi loin que moi la perfidie, elle descend aussitôt dans ces froides citernes ; et cependant un démon s’empare de son corps et lui fait achever le bail de la vie. Il y a telle ombre qui transit derrière moi, et qui semble peut-être respirer encore parmi vous ; je veux dire Branca d’Oria, que nous avons depuis longues années ; tu peux en parler, toi qui viens de quitter le monde [6].

— Je crois, lui dis-je, que tu m’abuses ;