Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/139

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et qui doit encore mériter par d’autres d’être appelée la Tour de la faim, lorsque je fis un songe, fatal présage de mes malheurs. Je songeai que celui-ci, tel qu’un maître fort et puissant, chassait un loup et ses louveteaux vers la montagne qui s’élève entre Lucques et Pise, et que les Guaslandi, les Sismondi et les Lanfranchi [1], avec une meute de chiennes maigres et légères, couraient en avant : au bout d’une courte poursuite, le loup et ses petits me paraissaient épuisés, et je voyais les chiennes affamées se jeter sur eux et leur ouvrir les flancs. Je m’éveillai vers le matin et m’approchai de mes enfants. Ils dormaient encore, mais en dormant ils gémissaient et demandaient du pain [2]. Ah ! que tu es cruel si ton cœur ne frémit d’avance de tout ce qu’on prépare au mien ! Et pour qui donc pleureras-tu si tu ne pleures pour moi ? Déjà, mes fils étaient debout, car l’heure du manger approchait, et chacun attendait son pain avec crainte, à cause du songe ; lorsque j’ouïs tout à coup l’horrible tour se murer par en bas. Immobile, je regardai mes quatre enfants, sans parler, sans pleurer ; l’œil fixe, et le cœur durci comme la pierre, ils pleuraient, eux ; et mon Anselmin me dit : « Comme tu nous regardes, mon père ! Qu’as-tu donc ? » Et cependant je ne pleurai point, je ne parlai point de tout ce jour et la nuit d’ensuite, jusqu’au retour d’un autre soleil. Mais, dès